dimanche 30 janvier 2011

Premier jet : quelques pistes pour préparer le grand bilan

Comme son titre l’indique, ce billet est un premier jet, un brouillon. Je me suis contenté de répondre à certaines des questions données pour nous servir de fil directeur, et je poste mes réponses pour alimenter le débat de demain. Je mettrai en ligne le billet définitif à l’issue de la dernière séance, c’est-à-dire de main après-midi, ce qui me permettra d’y cette ultime discussion.

Avez-vous trouvé que les technologies ou les médias eux-mêmes constituaient de nouvelles façons de connaître/savoir ? Ont-ils changé la façon dont vous découvrez, collectez, archivez, organisez, traitez, gérez ou communiquez ? Si oui, comment? Si non, pourquoi ?

Cette approche de l’histoire par le numérique et tout ce qu’il est convenu d’appeler les NTIC a radicalement modifié mon approche de la pratique de l’histoire et de mon rôle en tant qu’historien. Nouvelle façons de connaitre et de savoir, certes, mais ce n’était pas une découverte, puisque je m’intéressais déjà depuis quelques temps à la question de la diffusion du savoir en ligne, notamment à Wikipédia et à la transmission par les réseaux sociaux. En revanche, l’évolution dans ma manière de communiquer et d’utiliser l’informatique en tant qu’historien est réelle. D’une part, je suis devenu une sorte de « geek de l’histoire », à la fois par mon activité de blogueur (digitallugdunum.blogspot.com et yannsambuis.blogspot.com) et par mon obsession permanente de la recherche de ressources en ligne (même lorsqu’une version papier d’un document est disponible à la bibliothèque voisine). D’autre part, si j’utilisais déjà l’informatique pour prendre des notes, classer mes archives, trier des données, etc. ; je suis maintenant passé à l’étape suivante sur le chemin du tout numérique, puisque j’imprime beaucoup moins, j’utilise des outils en ligne (zotero, diigo…) et j’appréhende avec à la fois plus de prudence et plus de confiance les contenus en ligne.

Comment décidez-vous quelles sont les sources à inclure dans une exposition en ligne ou physique ? Quand est-il approprié d'utiliser des images ? des mots ? des cartes ? des voix ? des sons ? Jusqu'à quel point êtes-vous prêt à laisser les sources parler d'elles-mêmes et quelle part d'interprétation est-il nécessaire d'apporter ?

Je mûris peu à peu ma réflexion sur l’histoire en ligne, avec à la fois un intérêt et une grande prudence sur cette idée de mettre des sources en ligne. Actuellement, mais ce n’est certainement que temporaire, je dirais que tous les types de documents peuvent être utilisés pourvu qu’ils soient soit accompagnés d’outils permettant de les analyser et de les interpréter, soit mis au service d’une réflexion, avec donc une interprétation donnée (idée de donner de la profondeur à un écrit).
Sur ce point, et en particulier pour ce qui est de la comparaison entre numérique et « physique », je préfère cependant réserver mon avis. Je manque en effet d’expériences concrètes comparables à ma pratique de l’histoire numérique très orientée vers la transmission.

Y a-t-il des situations où vous avez estimé que vous étiez confronté/e à quelque chose de complètement nouveau ? des situations où vous avez pu utiliser votre expérience ou des connaissances et improviser à partir de là ?


Je ne pense pas pouvoir parler de quelque chose de totalement nouveau en termes de technique et d’outils. Dans ce domaine, j’ai pu m’inspirer assez largement de mon expérience sur internet autour de mes différents projets musicaux. En revanche, je dois admettre qu’en termes de pratiques, j’étais loin de soupçonner que l’usage de l’informatique ouvrait autant de perspectives pour l’historien. Notamment, les projets comme Valley of the Shadow, même si je ne suis toujours pas entièrement convaincu par le concept m’ont, au premier abord, tout bonnement sidéré.


Quel genre d'historien pensez-vous être ? Quel genre d'historien voulez-vous être ?

Il y a quelques mois, je me serais sans doute défini comme un historien du politique « militant », au sens où j’entends bien persister dans mon analyse des représentations politiques lyonnaises et remettre au centre de la réflexion dans ce domaine le « grand homme », ce qui, me semble-t-il, est loin d’être admis par la majorité des historiens français. Aujourd’hui, mon intérêt pour le numérique ajoute une autre dimension à ma perception de moi-même en tant qu’historien. Outre l’utilisation des outils et de nouvelles méthodes, l’approche de la digital history a réveillé et renforcé mon intérêt pour la transmission du savoir. A tel point qu’aujourd’hui, je ne conçois plus la pratique de l’histoire sans transmission, sans enseignement, et donc sans vulgarisation. Car celle-ci n’a rien de vulgaire au sens où on l’entend aujourd’hui. A une époque où le grand public se passionne pour l’histoire, comme le prouve le succès des documentaires historiques à la télévision, transmettre – et vulgariser – est sans doute le devoir le plus noble et le plus absolu de l’historien, et ceci tout simplement pour que la pratique de l’histoire ne soit pas vaine.
           
S’adapter au public ?

Cette idée m’amène à évoquer la question de l’adaptation du discours de l’historien au public visé.
J’ai cité à plusieurs reprises, sur mon blog, les paroles d’Edouard Herriot – objet de mes recherches avec lequel mon empathie grandit de jour en jour – pour qui « il ne faut jamais abaisser son enseignement si l’on parle devant le peuple »[1]. A mon sens, il n’est ni nécessaire ni souhaitable de simplifier son propos lorsqu’on s’adresse à un public large. Eviter d’utiliser un langage trop technique et s’exprimer clairement doivent suffire à rendre accessible au plus grand nombre le discours historique et scientifique en général. En outre, le numérique offre dans ce domaine des possibilités intéressantes, rien n’empêchant de renvoyer à des pages explicatives lorsqu’on utilise des concepts difficiles. Il faut toutefois noter que cet usage de l’hypertexte implique d’accepter qu’un article puisse ne pas être lu intégralement.
Pour minimiser ce risque, la meilleure solution me semble être la publication de textes courts, ce que j’essaie de mettre en place sur mon projet Digital Lugdunum. Ce n’est cependant pas une obligation, certaines idées nécessitant un développement plus long. Dès lors, la maîtrise des procédés narratifs est essentielle au vulgarisateur. Si, en définitive, le pur chercheur, si tant est que cette espèce existe, peut – doit ? – se dispenser de faire du style, le « professeur » - ce terme me semble pus élégant que « vulgarisateur » – se doit d’écrire bien, de savoir capter l’attention de son public. C’est ce que je tente parfois de faire en proposant des articles écrits sur un ton plus humoristique. Il est ainsi courant que les documentaristes demandent à des acteurs de devenir narrateurs – on peut citer Mathieu Kassovitz pour Apocalypse, série documentaire à succès sur la Seconde Guerre mondiale diffusée sur France 2 en 2009.  

Bonne lecture et à demain !


[1] Edouard HERRIOT,  Jadis, Tome I, Paris, Flammarion, 1938, p. 139-140

samedi 15 janvier 2011

A propos de Googling Lyon 1/3

Je viens de trouver un reportage de TLM sur la base de données "C'est arrivé à Lyon" des Archives municipales, dont j'ai parlé dans mon précédent billet :
http://www.youtube.com/watch?v=AxMPcvSJ1lw

vendredi 14 janvier 2011

L'histoire de Lyon en ligne

Bonjour à tous,

Je vous signale la parution d'un article de votre serviteur intitulé "Googling Lyon. Ébauche d'un portrait de l'histoire de Lyon en ligne" et publié sur le blog du projet Digital Lugdunum. Cet article est le premier d'une série qui devrait en compter trois sur les différents aspects de l'histoire numérique lyonnaise.

Bonne lecture !

Googling Lyon (1/3). Ebauche d’un portrait de l’histoire de Lyon en ligne, par Yann Sambuis

J’inaugure avec ce billet une série qui devrait en compter au moins trois et dans laquelle je me penche sur la présence en ligne de l’histoire lyonnaise. Ce premier volet est consacré à la recherche sur internet d’informations sur l’histoire de Lyon. J’aborderai dans les prochaines semaines la question de la présence des historiens lyonnais sur le web et de la possibilité pour l’historien de Lyon de pratiquer une histoire numérique, c’est-à-dire d’une part de trouver des ressources en ligne et d’autre part d’être actif sur le réseau mondial.

Il y a quelques semaines déjà, je publiai sur mon blog personnel un billet intitulé « Edouard Herriot et les pièges du net », dans lequel je décrivais avec humour les péripéties d’un jeune homme de la « génération internet » – à laquelle j’appartiens aussi – à la recherche d’informations sur Edouard Herriot. Ce billet est en fait le résultat d’un échec : j’avais au départ l’intention d’écrire un guide de l’histoire lyonnaise en ligne, mais devant le peu de temps dont je disposais, je décidai de me cantonner à Herriot, sans prétendre aucunement à l’exhaustivité sur le sujet. Seconde tentative, donc, qui je l’espère sera la bonne.

Au commencement était Google

            Mon propos n’est pas ici de dresser une liste des sites – ils sont de toute façon peu nombreux – traitant avec sérieux et rigueur de l’histoire de Lyon. J’ai délibérément abandonné toute idée d’exhaustivité, préférant rédiger une sorte de « guide » de l’histoire de Lyon en ligne, qui suivra le fil de mes propres recherches. C’est pourquoi notre voyage dans les profondeurs du net commence tout naturellement sur Google.
            Première précaution : rien ne vous interdit d’utiliser un autre moteur de recherches (Bing, Yahoo, etc.). Il se trouve seulement que, comme la plupart des internautes, j’ai mes habitudes sur Google – dont j’utilise non seulement le moteur de recherches, mais aussi la messagerie, la plateforme de gestion de blogs, etc.
            Recherchons donc : « Histoire de Lyon ». Une bonne surprise nous attend. En effet, alors que les résultats s’ouvrent le plus souvent par un article Wikipédia – nous y reviendrons –, l’encyclopédie en ligne est ici précédée par des pages plus sérieuses. Après un plan d’accès au muséum d’histoire naturel (fermé depuis quelques années déjà…), on trouve ainsi, en 2e et 3e positions, les pages du site dédié au patrimoine de la ville de Lyon, et la rubrique « Histoire » du site de la mairie de Lyon. Ces deux sites ont le mérite de résumer avec clarté et en quelques pages seulement l’histoire de la ville de Lyon. Le second reprend d’ailleurs de larges extraits du premier, ce qui est compréhensible puisque les deux émanent du même service, et font en quelque sorte doublon.
            Dans le même esprit, et toujours en première page des résultats de la recherche Google, deux autres sites proposent de brèves histoires de Lyon assez sérieuses pour être mentionnées ici. D’une part, le site de l’association @lyon propose une page « Historique de la ville de Lyon », qui a le mérite de retracer l’histoire de la ville en s’appuyant sur une chronologie assez étoffée, au moins jusqu’au XXe siècle, pour lequel un petit manque de précision est à déplorer, plusieurs événements étant mentionnés comme « importants » sans que leur date ne soit précisée. D’autre part, le site de la Primatiale Saint-Jean propose une section histoire assez détaillée qui fait la part belle à l’histoire religieuse, et comporte un chapitre intéressant sur les fêtes du 8 décembre.
            On oubliera en revanche la page « Histoire de Lyon » du portail l’Internaute, selon laquelle il ne se passe rien, à Lyon, de suffisamment important pour être mentionné entre 1834 (massacre de la rue Transnonain) et 1987 (arrestation à Lyon des membres d’Action Directe).
           
L’Homme fit Wikipédia à son image… et l’historien vit que cela n’était pas toujours bon

            Intéressons-nous maintenant au « cas » Wikipédia. L’encyclopédie en ligne doit, on le sait, son succès à l’adoption de la charte des Free cultural works (travaux culturels libres), tirée de la Free software definition (définition du logiciel libre) du projet GNU.
            Or le point essentiel de cette charte est la liberté pour tout utilisateur de modifier le contenu d’une page et de diffuser ce contenu modifié. Les articles de Wikipédia sont dès lors sujets à de constantes mises à jour, et les critiques que je pourrais adresser à la page que j’ai sous les yeux ne seront peut-être plus pertinentes dans deux jours. Je pourrais d’ailleurs aussi bien modifier la page moi-même pour qu’elle réponde à mes attentes. Mais ce n’est pas  notre propos ici. Contentons-nous de reconnaitre avec Roy Rosenzweig[1] que les chronologies sont le plus souvent justes et que, du point de vue factuel, la constante réécriture et le débat sur les pages de suivi des modifications aboutissent à des articles assez complets et aussi neutres que possibles sur le plan de l’idéologie.
            Une lecture rapide des deux pages consacrées par Wikipédia à la ville de Lyon et à l’histoire de Lyon ne laisse pas apparaître d’erreurs. Les commentaires d’utilisateurs laissent certes soupçonner un manque de justification par des sources précises, mais les pages citées précédemment n’en mentionnaient pas ou peu. L’article sur Herriot, littéralement truffé de fautes, m’a cependant appris la prudence, et je ne saurais trop conseiller à l’internaute de se tourner vers d’autres sources si possible. D’autant que la justesse de l’article d’aujourd’hui ne garantit rien pour demain.

Des tentatives d’histoire de Lyon en ligne

            Achevons notre rapide exploration avec des sites plus étoffés que les courts historiques précédemment mentionnés. On trouve en effet sur le net quelques sites dédiés à l’histoire de Lyon et proposant des ressources intéressantes.

            En premier lieu, comment ne pas citer le site des Archives municipales de Lyon, dont la section « Histoire de Lyon » offre plusieurs outils intéressants.
            Tout d’abord, le site offre une chronologie des maires de Lyon, accompagnée d’une sympathique rubrique sur les « records » des édiles lyonnais, le tout tiré de l’ouvrage publié en 1994 sur le sujet[2].
            Ensuite, l’outil « C’est arrivé à Lyon » permet de découvrir de manière ludique les grandes et les petites dates de l’histoire de la capitale des Gaules. Ont peut ainsi apprendre tout ce qui s’est produit le jour de son anniversaire, les événements de telle ou telle année, ou encore effectuer une recherche par date ou mot-clef.
Enfin, le site propose des archives commentées sur des sujets divers et des recherches thématiques réunissant des archives autour d’un même sujet. On trouve notamment dans l’onglet « Personnages » une courte et intéressante biographie d’Edouard Herriot.
Le site des archives de Lyon est donc à conseiller non pas seulement aux professionnels de l’histoire – nous y reviendrons dans le troisième volet de cette série d’articles –, mais aussi à tous ceux que l’histoire de la ville intéresse.

On retiendra ensuite le site d’histoire de Lyon et de la région lyonnaise créé en 2007 par «  des historiens lyonnais, professionnels et membres de sociétés savantes » - sans précision sur leur identité ou celle desdites sociétés – avec un objectif bien plus ambitieux que le nôtre.
Le plan du site laisse en effet deviner une ambition encyclopédique, puisque des sections, souvent vides, sont prévues pour un grand nombre de thèmes, comme par exemple l’histoire militaire de Lyon au Moyen-âge ou l’histoire du costume et de la mode à Lyon. Malheureusement, le site compte peu d’articles, qui sont pour la plupart de courtes notices biographiques sur des personnages lyonnais, des chronologies indicatives ou encore des indications bibliographiques sur un sujet précis.
De plus, le site semble avoir cessé toute activité depuis le 24 juin 2008, date de la dernière publication. Ce projet mérite cependant d’être mentionné, ne serait-ce que pour ces objectifs ambitieux. Rien ne dit en effet que son activité ne reprendra pas un jour.

Enfin, il me semble difficile de faire l’impasse sur un site amateur très actif jusqu’à une période récente, Lyon Historique.
Ce site, qui se présente comme « l’œuvre d’un amateur d’histoire locale », regroupe 85 articles présentant des lieux historiques de Lyon et de sa région, tous publiés entre 2005 et 2010 par le webmestre, dont le pseudonyme est « qse ». L’article le plus récent remontant à l’été 2010, on peut se demander si le site est encore actif. Néanmoins, il demeure très intéressant dans une perspective de découverte en amateur de l’histoire locale, et regorge d’idées de visites qui, ne l’oublions pas, sont indissociables de l’histoire grand public.

Du pain sur la planche ?

            Concluons donc ce premier volet sur une note d’optimisme. Si, comme nous l’expliquons dans le texte fondateur de Digital Lugdunum, l’histoire lyonnaise se doit d’être plus présente en ligne, la situation n’est pas désespérée. Il est possible de trouver facilement des indications de qualité sur l’histoire de notre ville. Ce qui manque, ce sont en fait les travaux précis réalisés par des professionnels. Malgré l’échec – temporaire ? – de la tentative mentionné plus haut, pourquoi ne pas rêver de créer un jour une histoire de Lyon en ligne écrite par des historiens et accessibles gratuitement à tous ?

Les sites que je vous recommande :

Pour une première approche générale et factuelle :

Pour des approches thématiques :
Lyon Historique (amateur)


[1] Roy ROSENZWEIG, “Can History be Open Source? Wikipedia and the Future of the Past”, Journal of American History 93, no. 1 (Jun 2006): 117-146
[2] Bruno Benoit, Raymond Curtet, René Giri, Maurice Moissonier, André Mure, Jacques Prévosto, Roland Saussac, 24 maires de Lyon pour deux siècles d’histoire, Lyon, Editions Lugd, 1994, 245 pages

lundi 10 janvier 2011

Mise en pratique du mind-mappind : Xmind

Avant toute chose, précisons que je suis depuis longtemps un adepte des schémas divers et variés pour m'aider à construire mon raisonnement. J'en veux pour preuve les portes de mes placards de cuisine, que j'ai remplacés par des tableaux noirs, pour pouvoir réfléchir en cuisinant (et surtout parce que c'est le seul endroit où il restait de la place dans mon appartement) :

Placard de gauche : le M2 en construction... (cliquer pour agrandir)

J'ai donc tout de suite été vivement intéressé par les outils de mind-mapping, et j'ai choisi Xmind un peu au hasard, parce qu'il était gratuit et peut-être aussi parce qu'étant plus jeune, j'adorais les Xmen. 

L'installation

Au départ, j'ai été surpris par la lourdeur du fichier d'installation (plus de 50 Mo), qui s'explique par le fait qu'on a ici un véritable logiciel, et non pas un simple plugin ou un outil en ligne. Contrairement à Whiteboard, par exemple, auquel il m'a fait penser, Xmind est utilisable hors ligne.
On dispose donc ici d'un véritable logiciel de mise en forme de la pensée, qui permet de passer par une approche "spatiale" de la réflexion. 

Un outil professionnel

On le sent immédiatement, Xmind est d'abord destiné au monde de l'entreprise : il permet de créer des interfaces de brainstorming pour un travail en équipe, des organigrammes, des fiches de test de produit... Ces formes prédéfinies sont assez peu utilisables pour un historien. 
En revanche, à partir d'un fichier vide, on peut facilement construire des représentations qui peuvent être utiles. La première qui me soit venue à l'esprit est l'utilisation de l'organigramme pour créer des arbres généalogiques, dont voici un exemple réalisé de mémoire : (cliquer pour agrandir)


On peut aussi utiliser le logiciel pour représenter les relations entre des personnes ou des idées, avec la possibilité de hiérarchiser les objets et de les relier par des flèches où on peut inscrire la nature du lien. Je me suis ainsi amusé à représenter, sous forme de diagramme logique puis de carte, la "galaxie" des guitaristes ayant joué avec feu Ronnie James Dio, chanteur mythique du heavy metal (désolé, je suis au bord du surmenage alors j'évite les sujets trop historiques) :


Diagramme (ci-dessus) et carte (ci-dessous) : les guitaristes de Dio (cliquer pour agrandir)


Globalement, ce type d'utilisation pour organiser et hiérarchiser des idées est plutôt efficace, même s'il manque à mon goût des outils de dessin pour placer des flèches transversales réunissant plus de deux idées, des zones, etc. J'en veux pour preuve le mal que j'ai eu à reproduire le type de schémas que j'avais réalisés lors de la construction du plan de mon M1, et que je n'ai malheureusement pas sous la main pour donner un exemple (j'éditerai le billet si j'y pense). Sur ce point précis, j'ai préféré l'utilisation de Whiteboard ou de l'outil de dessin de Google docs, que j'ai déjà utilisés pour le mind-mapping. 

Des possibilités de partage en ligne limitées sur la version gratuite

Le principal intérêt du logiciel réside en fait dans les nombreuses possibilités de partage en ligne et de travail collaboratif. Malheureusement, ces fonctions (brainstorming collaboratif en ligne, partage des documents avec un nombre limité de collaborateurs, enregistrement et partage de notes vocales, etc.) sont pour la plupart bloquées sur la version gratuite du logiciel. On peut seulement mettre en ligne des feuilles de travail, sans possibilité d'en verrouiller l'accès.
De même, les possibilités de recherches en ligne de modèles existants sont limitées dans la version gratuite, alors que la présence d'un navigateur intégré laisse deviner que c'est là un des axes fondamentaux du logiciel. 

Comme un goût d'inachevé

Si la robe et le bouquet sont prometteurs, avec une interface réussie et une bonne ergonomie (à part l'outil "accolade", mais je pense que ça vient de mon intellect limité), Xmind, dans sa version gratuite, laisse sur le bout de la langue le goût âcre de la frustration et du désir inassouvi. Tout cela est très prometteur, mais faute d'y mettre le prix, Xmind reste un outil de mind-mapping parmi d'autres, son excellente ergonomie étant contrebalancée par des possibilités de travail collaboratif très limitées. C'est certes un bon argument pour vendre le logiciel dans sa version professionnelle, mais cela place surtout le version gratuite derrière des outils plus rudimentaires et moins destinés au mind-mapping à l'origine. Ainsi, je préfère personnellement utiliser Google docs voire, quand je n'ai pas besoin de partager mon travail en ligne ou de sauvegarder, mes tableaux noirs.

Les + :
Interface élégante.
Les outils de création d'organigrammes, de diagrammes et d'arbres.
La possibilité de travailler hors connexion.

Les - :
Des possibilités de travail en ligne quasi-nulles, alors que c'est censé être le principal avantage du produit.
Le mode carte, qui manque à mon goût d'outils de représentation graphique.

Ouverture de Digital Lugdunum

Digital Lugdunum est un projet lyonnais d'histoire numérique que j'ai créé avec le soutien d'historiens lyonnais tels que Bruno Benoit (IEP) et Jacques Prevosto (ancien professeur en classes préparatoires). 

Le blog du projet est ouvert depuis le 3 janvier, avec un article inaugural de Jacques Prevosto intitulé "La politique au coin des rues lyonnaises de 1870 à 1914". 

Vous pouvez retrouver toutes les informations sur le projet ICI. Etudiants, professeurs, passionnés, n'hésitez pas à nous contacter si vous souhaiter participer au projet ou au blog, toutes les bonnes volontés sont les bienvenues.

Bonne lecture et à bientôt,

Yann Sambuis

Billet introductif pour la séance du 11 janvier : Open source, Open content, E-publication

Avertissement : faute de temps, de place, et aussi de compétence dans ce domaine, je n'ai pas traité la question de l'utilisation des logiciels libres par les historiens.


Pour cette séance portant sur les questions liées au copyright, au logiciel libre et autre propriété intellectuelle sur le net, il m’a semblé nécessaire de distinguer deux aspects qui, s’ils sont intimement liés, méritent à mon avis d’être traités séparément, au moins dans un premier temps. D’une part, l’historien numérique est confronté à la question de la propriété intellectuelle lorsqu’il utilise des travaux disponibles en ligne, ce qui pose aussi le problème de la mise à disposition des travaux encore sous copyright. D’autre part, l’historien se heurte, en tant qu’auteur, à des problèmes particulier : comment adapter la notion de propriété intellectuelle telle qu’on la conçoit habituellement pour les publications numériques ? Lorsqu’on fait le choix du « libre », quelles sont les conséquences sur le travail de l’historien ?

Copyright et accès aux travaux en ligne

Dans un premier temps, il convient de considérer le problème de l’utilisation de travaux protégés par un copyright. Comme l’expliquent bien Cohen et Rosenzweig, le problème est bien antérieur à la naissance de l’histoire numérique. Les deux auteurs citent ainsi le cas Folsom v. Marsh, en 1841, qui voit un biographe de Georges Washington être accusé de plagiat pour avoir recopié des lettres du premier Président des Etats-Unis dans une édition publiée quelques années plus tôt[1].
A l’ère d’internet et de la numérisation massive, notamment par Google, la question est d’autant plus sensible que d’une part, le copyright limite l’accès à de nombreux ouvrages de Google books et, d’autre part, l’utilisation qu’on peut faire de certaines publications en ligne est floue. Ainsi, la révolution que constitue cette numérisation est largement tempérée par l’impossibilité pour l’historien d’accéder à des travaux récents (« If Google's digitization plans succeed, that free archive will get dramatically larger, but the latest historical scholarship will still be absent »[2]).
Au-delà de cette question « pratique » de la disponibilité en ligne de travaux protégés, le problème se pose de l’utilisation des contenus sous copyright. Cohen et Rosenzweig notent ainsi que l’utilisation du numérique multiplie l’utilisation de documents photo ou vidéo notamment, pour lesquels il est nécessaire de demander des autorisations. Et dans le cas des textes, il faut garder à l’esprit qu’un auteur ou un éditeur peut très facilement, grâce à un simple moteur de recherches, repérer les plagiats. Ainsi, si distribuer en cours un texte sous copyright est sans risque, le publier en ligne sur la page du cours est bien plus dangereux («  Photocopying Allen Ginsberg’s 1956 poem “Howl” and giving it to your students may violate the rights of the Allen Ginsberg Trust. But an attorney from the trust is unlikely to be sitting in your classroom. Post the poem on your course website and that attorney can find the violation in two seconds »[3]).

Publier en ligne : vers un nouveau modèle économique

Poser la question de la manière dont l’historien numérique peut utiliser les travaux d’autrui nous conduit tout naturellement à la question inverse : comment l’historien peut-il protéger ses travaux en ligne, et doit-il seulement le faire ?

On le sait, la publication de livres est une source de revenus pour certains historiens, et la vente de copies est essentielle à la survie des revues et des éditeurs. Cependant, comme le note Paul Graham, les éditeurs vendent plus un support qu’un contenu, et la part du travail de l’auteur est très faible dans le prix d’un ouvrage ou d’une revue (« Economically, the print media are in the business of marking up paper. »[4]).
Or la mise en ligne annule pour ainsi dire le coût du medium de publication, et il est donc absurde de vouloir vendre des contenus en ligne. D’autant que la mise en place et le maintien de portails payants coutent plus qu’ils ne rapportent, et que les internautes ne sont pas prêts à payer pour des contenus en ligne dont ils peuvent trouver un équivalent gratuit, même de moindre qualité, par exemple sur Wikipédia. Ainsi, comme l’explique Roy Rosenzweig[5], le succès de Wikipédia face à des sites plus fiables et de meilleure qualité comme l’American National Biography Online est « [la] démonstration que les gens sont avides d’informations gratuites et accessibles » (« [the] demonstration that people are eager for free and accessible information resources »). Ce qui ne va pas sans poser d’importants problèmes.

En effet, l’incompatibilité entre la tendance d’internet à favoriser la gratuité et le mode publication et de production actuel de l’histoire aboutit à une faible présence en ligne des professionnels de l’histoire, et souvent à une faible efficacité de leur présence. Comme l’explique une fois de plus Roy Rosenzweig, lorsque les publications en ligne existent, elles sont ainsi souvent payantes, de JSTOR à l’American National Biography Online. Et lorsque des ressources sont disponibles gratuitement, et l’historien fait ici plus particulièrement référence à Wikipédia, les professionnels de l’histoire tendent à critiquer leur amateurisme et leur manque de rigueur scientifique. Sur cette question, la conclusion de Rosenzweig est sans appel : il est du devoir de l’historien de participer à l’amélioration des contenus disponibles gratuitement en ligne, et donc de dynamiter le tabou de la gratuité :
« If historians believe that what is available free on the Web is low quality, then we have a responsibility to make better information sources available online […].Why is [the National American Biography Online] available only to libraries that often pay thousands of dollars per year rather than to everyone on the Web as Wikipedia is? »[6]
Le problème demeure cependant complexe car, comme le note Dan Cohen, l’accès gratuit ne se met pour l’instant en place que là où d’autres formes de rentabilité sont possibles[7]. Or le rentabilité est souvent un mur auquel se heurtent les sciences humaines.
           
Le « libre », un concept inadapté à la rigueur scientifique

            Le second aspect du problème est donc, nous l’avons dit, la définition du « libre » sur internet. Supposons que nous acceptions l’appel de Roy Rosenzweig à agir pour améliorer les contenus historiques disponibles en ligne. Wikipédia étant dans ce domaine un leader incontesté, qu’implique, pour l’historien, de collaborer à l’encyclopédie en ligne ? La réponse est simple : l’acceptation des normes qui régissent Wikipédia : celles des « travaux culturel libres » (free cultural works, la question de la différence entre libre et gratuit ne se posant pas avec la traduction française, puisqu’on parle rarement de « bière libre ») tels que définis dans la Free Software Definition du projet GNU.
            Or l’acceptation de telles normes par l’historien ne va pas de soi. Si elle n’implique pas la gratuité, évitant en cela le débat soulevé précédemment sur la rentabilité, la définition du travail culture libre pose en effet comme principe fondamental la liberté de modifier les travaux mis en ligne, et de diffuser ces versions modifiées, même s’il doit être possible de retrouver la version originale. Or ces deux principes semblent en opposition totale avec les valeurs de l’historien. Dans le « libre », et Wikipédia en est certainement le meilleur exemple, la légitimité scientifique n’existe pas. N’importe quel lecteur est ainsi libre non seulement de contester un article écrit par un professionnel de l’histoire, mais aussi de le modifier, de le corriger (!). Si ce système permet un travail collaboratif efficace en termes de neutralité des articles, l’idée selon laquelle tous les avis se valent et doivent être placés sur un pied d’égalité n’a pas sa place dans le discours scientifique et historien. Face à ce problème fondamental, Rosenzweig[8] tente ainsi de trouver des solutions pour que l’apport des historiens professionnels à l’histoire en ligne ne soit pas vain.
            Si elle ne résout pas la question de l’investissement des historiens pour une vulgarisation de qualité dans un projet comme Wikipédia, la création de normes moins radicales que celles du « libre » selon GNU permet la publication en adéquation avec les principes scientifiques. Ainsi, la licence Creative Commons permet une utilisation et une diffusion libre, mais protège l’intégrité du travail (« The Creative Commons license allows copying and redistribution, but also allows the content creator a set of options with respect to attribution, commercial use, and modification of the work. »[9]). Notons en outre que, sans démarche particulière de la part de l’auteur, les travaux publiés en ligne sont régis par le copyright classique, ce qui, à défaut de permettre la libre diffusion des savoirs, a le mérite de protéger le contenu, l’historien étant libre, s’il ne passe pas par l’intermédiaire d’un éditeur, de laisser les internautes utiliser librement son travail.

Une opportunité

            Ainsi, l’appel de Cohen, de Rosenzweig et d’autres à une plus grande implication des historiens en ligne – que ce soit pour publier, tenir des blogs, améliorer les contenus disponibles en ligne, etc. – peut et doit être suivi d’effets. Sans revenir sur les avantages du numérique en termes d’outils, internet est une formidable opportunité de transmettre du savoir. Que ce soit en publiant des travaux régis par les règles traditionnels du copyright ou par les règles plus souples, la toile permet de diffuser gratuitement les savoirs, sans soumission à un modèle économique. En outre, la participation à l’élaboration de travaux culturels libres, si elle implique de nombreuses concessions, peut permettre l’émergence en ligne d’une vulgarisation de qualité gratuite et accessible à tous.
Je conclurai donc en apportant mon soutien inconditionnel à ces appels en défendant avec Dan Cohen l’idéalisme contre le pragmatisme.


[1] Dan COHEN and Roy ROSENZWEIG, Chap. 7 "Owning the Past", Digital History, Philadelphia, University of Pennsylvania, 2005
[2] Roy ROSENZWEIG, "Should Historical Scholarship Be Free?", AHA Perspectives (Avril 2005)
[3] Dan COHEN and Roy ROSENZWEIG, Chap. 7 "Owning the Past", Digital History, Philadelphia, University of Pennsylvania, 2005
[4] Paul GRAHAM, "Post-Medium Publishing," (Septembre 2009)
[5] Roy ROSENZWEIG, "Can History be Open Source? Wikipedia and the Future of the Past," Journal of American History 93, no. 1 (Jun 2006): 117-146.
[6] Ibid.
[7] Dan COHEN, "Idealism and Pragmatism in the Free Culture Movement," Dan Cohen's Digital Humanities Blog (12 May 2009)
[8] Roy ROSENZWEIG, "Can History be Open Source? Wikipedia and the Future of the Past," Journal of American History 93, no. 1 (Jun 2006): 117-146.
[9] John M. UNSWORTH, "The Next Wave: Liberation Technology," Chronicle of Higher Education 50, no. 21 (30 Jan 2004)

mardi 4 janvier 2011

Mise à jour

Bonjour,

A la demande de plusieurs lecteurs, voici, en complément du billet de Jacques Prevosto, un lien vers une page de  cartes postales anciennes des rues de Lyon : http://www.visitelyon.fr/photos-anciennes.php

Vous pouvez aussi trouver un plan interactif de Lyon sur http://www.carto.lyon.fr/plan/

Bonne lecture,

Yann Sambuis

lundi 3 janvier 2011

La politique au coin des rues lyonnaises de 1870 à 1914, par Jacques Prevosto


Note : Un plan interactif de Lyon est disponible sur http://www.carto.lyon.fr/plan/. N'hésitez pas à l'utiliser !

            Depuis la Révolution française au moins, toponymie et politique sont étroitement liées. A Lyon en septembre 1870 après la défaite de Sedan, la grande artère percée dans la presqu’île en 1854 perdit son nom de rue Impériale pour devenir la rue de Lyon : cette dénomination suffisamment neutre ménageait un avenir institutionnel encore bien incertain. En 1879, la démission de Mac Mahon et l’élection de Grévy à la présidence de la République attestèrent que les républicains avaient désormais partie gagnée, au terme d’un long combat où le conseil municipal de Lyon avait tenu toute sa place : la rue de Lyon devint alors rue de la République. Cette même année, à la demande du conseil municipal, le préfet installa une commission chargée d’étudier une révision d’ensemble des noms des           rues lyonnaises. Son rapport, déposé en 1884, servit de base aux travaux d’une deuxième commission, créée en 1888. Enfin, le conseil municipal élu en 1904 chargea une troisième commission de reprendre le dossier : le rapport confié au radical Laurent Chat fut présenté au conseil en juin 1907. Les travaux de ces trois organismes fournissent ainsi les éléments précieux pour une étude de toponymie républicaine et lyonnaise que je voudrais esquisser ici.

            D’une commission à l’autre le nombre des propositions de modifications de noms s’accroît très sensiblement : il n’est que de trente-trois dans le rapport de la première commission, alors que Laurent Chat, qui, du passé (d’un certain passé) entend faire table rase, atteint le chiffre de cent soixante-huit. Dans quelques cas la demande de modification s’explique par le souci d’éviter les doublons ou les confusions : celle qu’introduit l’érection de la statue de la République sur la place (Lazare) Carnot a persisté longtemps, au moins jusqu’à ce que le monument dédié à (Sadi) Carnot ait disparu de la place de la République. Dans un petit nombre de cas également la proposition de modification relève des exigences de la bienséance bourgeoise du XIX° siècle, que les républicains lyonnais assument totalement : les rues Bourdy [1] et Vide Bourse [2] dans le cinquième arrondissement, n’échappent pas à la proscription par Laurent Chat de toute « appellation triviale ».

            La grande majorité des demandes de modifications, toutefois, relèvent très explicitement du combat politique. Les noms qui rappellent l’Ancien Régime sont frappés d’ostracisme : la rue de Bourbon, condamnée par la première commission, devint la rue Victor Hugo en 1885. En 1907, le rapport Chat proscrivait, entre autres, les rues Dauphine et Royale  (1° arrondissement, actuellement rues Roger Violi  et, toujours, Royale) de même que la rue François Dauphin  dans le 2° arrondissement. Ceux qui pendant la Révolution n’avaient pas su faire le bon choix, jacobin, sont également visés, que ce soit Imbert Colomès, le prévôt des marchands en 1788 ou Précy, qui commandait la défense de la ville lors du siège de 1793.  De Condé à Enghien, la Restauration restait trop présente dans les rues du deuxième arrondissement au gré du rapport Chat qui concluait à la suppression de ces références.

            Dès le premier rapport, la lutte anticléricale rend compte des deux tiers des demandes de modifications, comme celles qui frappent les rues Saint-François de Sales, Saint-Louis  (aujourd’hui rue Charles Montcharmont ) et Sainte-Colombe (rue Joannès Drevet ), dans le deuxième arrondissement. Dans ce même arrondissement, la commission de 1888 ajoute la rue Saint-Joseph, la rue Saint-Dominique  (aux relents inquisitoriaux) et la rue Sainte-Hélène. Laurent Chat n’a plus à se préoccuper des deux premières puisque, en 1902, Saint Joseph a cédé la place à Auguste Comte et Saint Dominique à Emile Zola (dans la semaine qui a suivi la mort de l’écrivain). En revanche, il propose que la rue Sainte-Hélène devienne une rue Jules Ferry , avec ce commentaire : « Nous avons réservé le nom de l’illustre homme d’Etat de la Troisième République pour cette rue où se trouve toujours, pour combien de temps encore hélas, un établissement de Jésuites ». Cent vingt autres rues sont visées dans ce rapport en raison de leurs dénominations religieuses, y compris la rue de la Charité  et la place de Fourvière, qui aurait dû (re)devenir place du Forum.

            Aux nouvelles dénominations proposées pour les rues dont les noms, comme le disait Chat, étaient  «offensants ou odieux », les commissions joignaient des propositions pour des rues nouvellement ouvertes et seulement encore désignées par une lettre de l’alphabet. La première commission suggérait ainsi soixante-neuf noms nouveaux, la deuxième quatre-vingt-sept et le rapport Chat en contenait, lui, deux cent quarante-deux. La moitié de ces propositions renvoyait à l’histoire lyonnaise, aux hommes qui « ont honoré la petite Patrie ». L’autre moitié comprenait les « hommes qui ont honoré l’Humanité et la Nation ». Dans l’ensemble, les hommes politiques sont les plus nombreux, mais à égalité avec les artistes et écrivains (un tiers des propositions pour chacun de ces deux groupes). Viennent ensuite des personnages qui se sont illustrés dans le domaine des sciences et des techniques ( 16% du total). La place faite à l’Armée et à l’Empire colonial est plus modeste, 7,7% des propositions du rapport Chat : nous sommes bien au lendemain de l’Affaire Dreyfus où le nationalisme n’est plus une composante dominante de l’esprit républicain mais, il faut le souligner, n’a pas disparu.

            Une classification des propositions par grandes époques historiques est particulièrement éclairante. Le rapport Chat fait sa place à Lugdunum : 10% des propositions renvoient à l’Antiquité. Le pont du Midi, côté Rhône, (actuel pont Gallieni), aurait dû devenir le pont des Allobroges  et, côté Saône, (le pont Kitchener ), pont des Ségusiaves. Mais c’est surtout le cinquième arrondissement qui est appelé à conserver le souvenir de l’Antiquité, avec une montée des Viennois, une rue des Romains, une place du Temple des Lares, sans oublier la rue Sidoine-Apollinaire  (dont le nom est effectivement donné au chemin de Saint-Just à Saint-Simon en 1927). Par contre, le Moyen Age disparaît presque totalement comme il convient pour une période plongée dans « les ténèbres de l’obscurantisme » : seul, ou presque, Pierre Valdo peut être honoré (dans le cinquième arrondissement ) et ainsi avec lui, tous les Vaudois, «précurseurs de la doctrine du libre examen » , frappés par Philippe Auguste puis François I°.

            Les victimes du  «fanatisme » fournissent une importante cohorte de noms du XVI° siècle, comme Michel Servet à qui une place est attribuée dès 1907 dans le premier arrondissement, ou Aneau, principal du collège de la Trinité, massacré sous les yeux de ses élèves en 1561, pour qui Laurent Chat prévoyait une rue dans ce même premier arrondissement et qui finit par en obtenir une dans le septième en 1930. La montée Saint-Barthélemy   aurait dû se transformer, elle, en une montée Coligny.  Mais les propositions de Laurent Chat chantent aussi la gloire du Lyon humaniste, avec ses poétesses (Clémence de Bourges, Pernette du Guillet et Louise Labé doivent faire escorte à Clément Marot dans le deuxième arrondissement), avec ses sculpteurs (Jean Perréal,qui décora l’église de Brou), ses imprimeurs (de Barthélemy Buyer à Sébastien Gryphe). Enfin, Turquet et Nariz, les deux piémontais qui introduisirent les premiers métiers à soie, doivent en être remerciés par une rue dans le premier arrondissement. Au final, les propositions se rapportant au XVI° siècle représentent 15% du total, avec, on l’a vu, une part importante pour l’histoire locale.

            La proportion est la même pour les XVII° et XVIII° siècles : les hommes des Lumières se taillent la part du lion (d’Alembert et Julie de Lespinasse dans le premier), aux côtés des savants (Galilée, Harvey, Lavoisier, mais aussi le lyonnais Christin qui, pour avoir eu le premier l’idée du thermomètre à mercure, mérite bien une rue dans le deuxième arrondissement). Comme les deux périodes précédentes, la période révolutionnaire fournit elle aussi 15% des propositions du rapport Chat mais, cette fois, les références à l’histoire locale sont peu nombreuses, dans la mesure où en 1793 le nom de Lyon ne s’est pas conjugué avec celui de la République une et indivisible : reste, à titre expiatoire, à honorer Chalier dans son premier arrondissement. Manifestement, pour les radicaux lyonnais, la Révolution est  « un bloc » puisque le rapport Chat prévoit, dans le troisième arrondissement, une rue Camille Desmoulins et une rue Robespierre, une rue de la Montagne  et une avenue des Girondins,  une rue Mirabeau  et une place Babeuf.

            Le XIX° siècle dispose de près de la moitié des propositions (43%). La République souffrante et militante est bien représentée tant au plan national ( Ledru-Rollin, Baudin, Barbès, Blanqui) qu’au plan local (Joseph Benoît, Greppo et autres quarante-huitards lyonnais). Les grands noms de la République triomphante, comme Jules Ferry ou Waldeck-Rousseau, sont également présents mais quelque peu éclipsés, peut-être, par la cohorte des notables de la république lyonnaise, de Gailleton à Krauss, en passant par le docteur Rebatel (beau-père d’Edouard Herriot, président du Conseil général), sans oublier Léon Delaroche qui «fit preuve d’une netteté de vues remarquable en décidant d’accentuer la ligne politique du Progrès sous le ministère Méline et engagea le journal lors de l’affaire Dreyfus dans la voie qui devait aboutir à l’éclatante revanche du droit et de la justice méconnus et violés ». De même, parmi les artistes contemporains, les lyonnais sont nettement privilégiés ( 70% des propositions) : Fleury Chenu, «peintre des effets de neige dont la réputation est universelle »  doit être célébré dans le deuxième arrondissement. Le monde médical (et républicain) lyonnais n’est pas oublié par Laurent Chat : aux côtés de Gailleton et Rebatel figurent les noms du docteur Fochier, qui obtint sa rue dans le deuxième arrondissement dès 1909, et du docteur Bonnefoy, qui l’attend toujours dans le troisième.

            Comme on vient encore de le voir, les propositions des commissions ne furent pas toutes avalisées par le Conseil municipal. Un peu moins de la moitié des modifications envisagées par la commission de 1879 ont été effectivement opérées, mais pour les propositions du rapport Chat la proportion tombe à 25%. De même, un tiers des noms proposés par la première ou la deuxième commission ont été donnés à des rues de Lyon, alors que ce n’est le cas que pour un cinquième des noms retenus par le rapport Chat. Si ce dernier a été finalement moins productif que les précédents, c’est, pour une part, en raison de son caractère radical, au sens étymologique du terme : dès sa présentation, des critiques se font entendre au sein du Conseil municipal, y compris parmi les socialistes qui se demandent si «nous avons le droit de rayer ainsi d’un trait de plume des pages d’histoire locale ». Avec une prudence toute radicale (au sens politique cette fois), Edouard Herriot rend hommage au travail réalisé mais annonce une application sage et mesurée des propositions. D’autre part, moins de dix ans après la présentation de ce rapport, d’autres commémorations s’annoncent : en 1915 la rue de la Belle Allemande, que Laurent Chat n’avait pas proscrite, devient la rue d’Ypres.  Avec l’Union sacrée s’esquisse ainsi le passage d’une symbolique à dominante politique à la symbolique à dominante unanimiste dont s’inspire encore aujourd’hui la dénomination de nos rues, mais ceci serait un autre sujet.



SOURCES
           
            Les rapports des trois commissions ont été édités et peuvent être consultés aux Archives municipales, ainsi que les appréciations, fort critiques, de l’historien Steyert sur le travail de la première commission.


ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE

             - Louis Maynard, Rues de Lyon, première édition en 1922, réédité par Jean Honoré dans la collection  Classiques lyonnais  en 1980.

            - Maurice Vanario et Henri Hours, Les Rues de Lyon à travers les siècles, Editions lyonnaises d’Art et d’Histoire, 1990, réédité en 2010. Une somme en tous points remarquable.


[1] devenue rue Armand-Calliat en 1938 
[2]  avec son nom, cette rue a conservé un charme hors du temps 

Ouverture du blog

Bonjour et bonne année à tous.

C'est avec un plaisir non contenu que je vous annonce, à l'aube de cette nouvelle décennie, l'ouverture du blog du projet Digital Lugdunum, dont vous trouverez une présentation ici. D'autant qu'en guise d'inauguration, c'est Jacques Prevosto, qui fut mon maître d'histoire en hypokhâgne, qui signe un billet passionnant (cela va sans dire) sur les rues de Lyon, à retrouver ici.

Bonne lecture et bonne année encore,

Yann  Sambuis, administrateur du blog