lundi 30 septembre 2013

NHumérisme, ou l'émergence des humanités numériques lyonnaises

Lors de la création de ce blog, et surtout de Digital Lugdunum, il y a 3 ans, je déplorais régulièrement l'absence à Lyon d'un véritable intérêt pour l'histoire numérique et les humanités 2.0 en général. Comme je l'ai écrit dans mon précédent billet, ce n'est heureusement plus le cas aujourd'hui, et c'est une des raisons qui m'ont conduit à mettre en sommeil (sans doute définitivement), le blog de DL

L'année dernière, dans la lignée du séminaire "Histoire à l'ère du numérique" de Christian Henriot, dont la première édition en 2010-2011 m'avait conduit à créer ce blog, de jeunes chercheurs et doctorants lyonnais réunis autour de Cécile Armand, doctorante à l'ENS de Lyon (et dont le directeur de recherches n'est autre que C. Henriot) ont entrepris de créer à l'ENSL un "laboratoire junior" en humanités digitales. D'abord nommé DHLyon, le projet a été rebaptisé NHumérisme et a été approuvé cet été par l'ENS. Connaissant mon intérêt pour la question, Cécile Armand ma d'ailleurs eu la gentillesse de me proposer de collaborer au projet, ce que j'ai bien sûr accepté avec joie. 

Si je n'écris ce billet que maintenant, alors que le blog NHumérisme existe depuis près d'un an, c'est que le projet s'apprête à prendre vie IRL, comme disent les djeun's. Le 15 octobre, sera en effet organisée à l'Institut Français d'éducation de Lyon (IFé, ex-INRP) une journée d'études inaugurale sur le thème de la Tour de Babel numérique. Cette journée, à laquelle mes activités d'enseignement ne me permettront malheureusement pas de participer, abordera notamment la question de l'émergence d'un humanisme numérique et de la diversité des "langues" numériques, avec des interventions de chercheurs rhône-alpins issus de toutes les branches des SHS. En attendant avec impatience le compte-rendu de cette journée, je vous invite à consulter l'excellent article de présentation de Cécile Armand, ainsi que le programme de la journée sur le blog de NHumérisme.

En attendant de vous parler plus longuement de ce projet, bien plus "intellectuel" et, par certains aspects, bien plus "corporate" que ce blog, je vous invite en tout cas à faire un tour sur la page du labo. On ne peut que se féliciter que les humanités numériques se voient enfin accorder la place qu'elles méritent au sein des SHS lyonnaises, grâce notamment au prestige qu'apporte le rattachement du labo à l'ENS.

A bientôt, et bon surf sur le web humaniste lyonnais !

PS : Pour les moins geek d'entre vous, vous pouvez aussi jeter un oeil à l'ouvrage consacré à la tradition humaniste de la capitale des Gaules par les éditions Autrement : Emmanuel ARLOT (dir.), Lyon l'Humaniste. Depuis toujours, ville de foi et de révolte, Paris, Autrement, 2004.

vendredi 27 septembre 2013

De la mue de ce blog et de la migration de Digital Lugdunum

Comme je l'ai indiqué au début du billet précédent, c'est la reprise. N'ayant rien publié depuis près de deux ans, je me suis dit qu'il était temps de faire un peu de ménage dans mon activité de bloggeur. Deux nouveautés, donc :

La première est anecdotique : j'ai revu la mise en page, un peu plus adaptée aux résolutions d'écran modernes, et les couleurs, plus adaptées à mes goûts. 

La seconde est plus importante. J'ai décidé de fusionner mes deux blogs historiques. Digital Lugdunum, projet de plateforme d'histoire numérique lyonnaise, n'a en effet jamais décollé. J'en ai été le seul auteur, à part un article d'un de mes anciens professeurs, l'excellentissime Jacques Prevosto. En outre, si la création de ce blog me semblait nécessaire en 2010, à un moment où l'histoire numérique n'existait pour ainsi dire pas à Lyon, la naissance à l'ENS de Lyon du projet NHumérisme, auquel je devrais prendre part dans les prochains mois, rend cette nécessité moins impérieuse. Ce labo junior créé par des doctorants ne couvre certes pas l'ensemble des objectifs de DL, notamment en ce qui concerne la vulgarisation, mais il possède l'immense qualité de disposer des moyens à la fois économiques et humains de son ambition, qui a elle-même le mérite d'être très élevée. J'ai donc pris la décision de faire migrer vers ce blog tous les articles de Digital Lugdunum, regroupés sous ce libellé. Le blog originel restera cependant en ligne, arrêté au 5 octobre 2011. 

Une nouvelle ère commence donc, ce blog "personnel" s'ouvrant désormais à d'autres sphères que la seule histoire numérique, d'où son nouveau sous-titre : Histoire lyonnaise, histoire numérique, histoire tout court

En attendant, bon week-end et à bientôt pour de nouvelles aventures historiennes !

jeudi 26 septembre 2013

Mais qui est François Huguenin ?

Après quelques mois d'inactivité pour cause d'agrégation (je vais bien, merci, même très bien), je reprends ma plume et mon clavier en douceur. Depuis quelques jours, je cherchais le sujet d'un prochain billet, un sujet digne d'un billet de reprise. Et puis ce matin, dans un train entre Lyon et Grenoble, mon stylo a sauté dans ma main. Révolté par la lecture de l'Histoire intellectuelle des droites de François Huguenin, je n'ai pas pu m'empêcher d'écrire, et ce soir de publier, qui plus est avec un titre provocateur, ledit François étant bien plus connu que moi. Et tant pis si cet article de reprise n'a rien à voir avec la les Humanités Numériques. Ce que j'ai écrit ce matin, je veux qu'on le lise, même un peu. Et j'assume totalement mon opinion, même si l'on pourra facilement m'accuser de lecture partielle, sinon partiale. 


Septembre 2013. Après deux ans passés à la préparation du Capes et de l'Agrégation d'histoire, je prends mon premier poste dans un lycée isérois et je commence à débroussailler le chemin menant à une éventuelle thèse par quelques lectures. De passage à la F***, célèbre chaîne de librairies dont je tairai le nom pour ne pas nuire au petit commerce, je tombe sur une Histoire intellectuelle des droites (F. Huguenin, Perrin, 2013) que je ne connais pas. Un premier feuilletage rapide m'apprend qu'il s'agit d'une réédition augmentée du Conservatisme impossible, d'un certain François Huguenin, "diplômé de Sciences Po", paru en 2006. Aurais-je raté, durant mes années de Master, un ouvrage essentiel ? Je me déleste donc de la somme - rondelette pour un livre de poche - de 11 euros, et je décide que cet ouvrage, dont l'auteur se présente comme un "historien" (il est aussi présenté ainsi notamment sur le site de France Inter), m'accompagnera pour les prochains jours, manière comme une autre d'égayer mes 2 fois 50 min. de TER quotidiennes. 

"Absence de liberté d'esprit"


Quelle n'est pas ma surprise lorsque, dès la première page, le supposé historien présente son livre comme un outil pour l'actuelle opposition parlementaire, "une réflexion sans laquelle une future majorité risque de produire autant de déception et de frustration que l'actuelle" (p. 9) (Je mets en gras les mots qui me semblent en contradiction avec l'impartialité qui sied à l'historien, et j'ai bien peur de devoir appuyer souvent sur Ctrl+B dans les lignes qui vont suivre).

Dès lors, tout s'enchaîne : pèle-mêle, le prologue de l'ouvrage fait état de "l'effondrement intellectuel de la gauche" (p. 10), regrette que le FN ait pour stratégie de "ne jamais accéder au pouvoir" (à l'opposé du stimulant petit ouvrage publié ce mois par le sociologue Michel Wieviorka et intitulé Le Front National), dénonce "l'ostracisme" qui frappe selon lui la pensée réactionnaire, et tout particulièrement Maurras, signe d'une "absence de liberté d'esprit" des "élites intellectuelles". 

Huguenin ou Maillot ?


Huguenin, qui est aussi, bien que sous un autre nom (le vrai, François Maillot), directeur de la célèbre librairie catholique parisienne La Procure, affiche donc la couleur dès les premières pages. Ces droites à propos desquelles il écrit, qu'elles soirent libérales ou réactionnaires, il les soutient et conçoit son livre comme un outil de renouveau intellectuel à son service. Notons au passage que, dans ce prologue très idéologique, l'auteur ose tout de même une incursion dans l'historiographie, citant Les Droites en France de René Rémond pour s'en démarquer aussitôt, avec des arguments assez peu convaincants. L'ancien élève de Sciences Po accuse le maître de "se fourvoyer" en plaçant "sous les mêmes auspices du bonapartisme les tentations fascistes des années trente, le gaullisme et le lepénisme"(p. 15), ce qui est loin de constituer l'essence du propos de René Rémond, qui a lui-même reconnu les limites de sa théorie, formulée, faut-il le rappeler, à l'aube des années 1950, à une époque où le gaullisme politique était encore bien jeune. François Huguenin, lui "sachant" (c'est lui qui le dit, on ne sait de quelle inspiration divine il le tient) "qu'il n'en existe pas d'autre", se propose d'étudier les deux tendances qui, à ses yeux résument la droite française depuis 1789, la réaction et le libéralisme. 

On entre donc dans le vif du sujet, et par la grande porte s'il vous plait : un récit en bonne et due forme de la séparation entre "droite" et "gauche" de l'hémicycle en septembre 1789, autour de la question du veto royal. Aussitôt, Huguenin retombe cependant dans ses travers idéologisants. Page 21, la troisième du "corps" de l'ouvrage, il dresse un portrait très flatteur de la Révolution à laquelle s'oppose la première droite, dont iol ne retient que "[les] horreurs de la Terreur, [les] mascarades de procès, [...] la délation généralisée, [...] l'exécution systématique des ennemis politiques, [les] massacres scientifiquement organisés de pans entiers de la population - noyades de Nantes ou génocide vendéen".

Génocide vendéen


GENOCIDE VENDEEN ?!? N'en jetez plus, la coupe est pleine. Voila que notre Huguenin-Maillot (on se demande si le choix d'un pseudonyme 'est pas destiné à rendre moins suspect de partialité François l'historien, débarrassé du lien avec le libraire catho parisien et ancien éditeur), chouan dans l'âme, fait sienne les théories fumeuses instrumentalisées par la vieille droite catholique en déclin, et tente de les faire passer pour une vérité historique admise, les plaçant innocemment en fin d'une liste commencée par une évocation de la Terreur et où le "génocide" n’apparaît que comme un exemple allant de soi. Il est vrai que l'auteur ne cache pas sa sympathie pour la pensée maurrassienne et regrettait déjà dans les premières pages que l'UMP n'ait pas su poursuivre le mouvement de "renaissance réactionnaire" (cette expression-la est de moi) incarné par la "Manif' pour tous". 

Pour moi, c'en est trop. J'abandonne au moins pour un temps ma lecture p. 21, après seulement 10 pages dont 7 d'un "prologue" qui suffisait à jeter le discrédit sur un ouvrage qui ne relève décidément pas d'une démarche historique impartiale. Qu'on ne me jette pas la pierre, j'ai seulement commis l'erreur de vouloir voir derrière le titre d'Histoire intellectuelle des droites un livre d'histoire. Mais historien, François Huguenin ne l'est visiblement pas, en tout cas pas au sens noble du terme, lui qui préfère instrumentaliser une lecture partielle de l'histoire à des fins politiques. Je me contenterai seulement de proposer un nouveau titre, qui ne diffère de l'actuel que par deux lettres : Histoire intellectuelle de droite. Sur ce, je vais lire quelque chose de plus sérieux.