mardi 11 février 2014

Berstein en live à l'IEP : réponse à une spectatrice curieuse

Il y a quelques jours, ayant besoin d’une secrétaire compétente, j’emmenai ma compagne à une conférence à l’IEP de Lyon. Serge Berstein y intervenait, à la demande de l’association Ogmios, sur le thème « Fascisme d’hier, populisme d’aujourd’hui ? ». Or l’excellente dactylographe qui m’accompagnait est aussi une jeune femme intelligente. Elle a donc décidé de donner sur son blog une synthèse humoristique de la conférence, dont elle reprend avec brio les points essentiels. Vous pouvez lire cet article en cliquant ICI. Et d’ailleurs, je vous conseille de le faire, parce que sinon, vous ne comprendrez pas grand-chose à ce que je vais écrire. Pour vous faciliter la tâche, je vous ai remis le lien ICI aussi. Et ICI.

Ca y est ? Vous avez lu ? L’article se termine donc par deux questions adressées à un certain  M’sieur Sambuis – votre serviteur –, auxquelles je vais donc tenter de répondre avant d’entrer plus avant dans la conférence de Serge Berstein en vous exposant les quelques réflexions qui me sont venues sur le chemin du retour – et devant un plat de sushis, puisqu’on ne peut rien vous cacher.

« Il a pas parlé de la Russie »

Non, c’est vrai, il n’en a pas parlé. Pas un mot de la Russie d’avant la chute de l’URSS. Peut-être parce que les exemples de la Hongrie, dont le gouvernement est ouvertement populiste, de l’Autriche, où le parti d’extrême-droite de l’ambivalent Jorg Haider a participé à la coalition gouvernementale il y a quelques années, et des partis populistes français contemporains, FN et FDG, suffisaient à montrer ce qu’il voulait montrer. Il ne faut pas multiplier les exemples devant une assistance aussi nombreuse et jeune, on risquerait de les perdre…
Ta question, petite fille, est donc judicieuse, mais mérite quelques éclaircissements préalables. Déjà, on ne parle pas de goulag pour les prisons de Poutine. C’est pas poli, mieux vaut utiliser des euphémismes comme « camp de rééducation politique » ou quelque chose dans ce goût. Parce que c’est bien de ça qu’il s’agit, de rééducation. Goulag, ça fait communiste. Tu n’accuserais quand même pas Vladichou d’être un rouge ? De plus, Poutine ne laisse pas les pays voisins « se tuer entre eux », il crée volontairement un climat d’instabilité en soutenant des régimes autoritaires dans les républiques caucasiennes de la Fédération de Russie, comme celui de ce brave Kadirov en Tchétchénie, ou encore en intervenant dans les provinces à forte minorité russe – Ossétie du Sud et Abkhazie – du Nord de la Géorgie, pour éviter que cette dernière ne se rapproche trop de l’Occident. Ca s’appelle diviser pour mieux régner. Parce que la Russie d’aujourd’hui est sans doute un peu nostalgique de la grande URSS. Mais on ne peut en aucun cas y voir le bellicisme d’un régime fasciste. Pour ce qui est du coté populiste, on peut certes considérer que la très forte popularité de Poutine – ses scores, eux, sont sans aucun doute dignes de l’URSS –, ses appels à la fibre patriotique, voire à un nationalisme exacerbé, l’absence de réelle condamnation de la xénophobie, très présente et qui aboutit à de nombreuses agressions contre les immigrés originaires des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale et du Caucase – qui n’ont pour ainsi dire aucun droit, soit dit en passant –, la mise en avant de Vladimir Poutine, torse nu et pectoraux toniques en couverture de la presse, tout cela fait franchement penser au populisme tel que le décrit Berstein. Mais je pense qu’en Russie, cette tendance populiste se mélange à beaucoup d’autres choses.
Déjà, le système fédéral semble entrer en contradiction avec l’idée d’un Etat fort. D’autant que les dirigeants, anciens cadres soviétiques reconvertis dans les affaires et la politique, ne sont pas tous aussi proches du peuple que Vladimir, loin s’en faut. La Russie d’aujourd’hui, pour moi, c’est un savant mélange de populisme, d’autoritarisme, d’oligarchie, et surtout de vodka et de Jeux Olympiques, histoire que la population ne s’intéresse pas de trop près à tout ça.
Voila pour ta première question, même si je suis à peu près aussi expert de la Russie que Berstein de la Corée du Nord. D’ailleurs, c’est peut-être aussi parce qu’il maitrisait moins bien cet exemple que ceux qu’il a développés qu’il ne l’a pas utilisé.

« Le capitalisme du début du XXIe siècle, c’est pas une forme de totalitarisme ? »

Bon… Mon propos, ici, c’est pas de faire de la politique ou de hurler avec les loups que le FN et Mélenchon c’est pas la même chose. C’est pas non plus de te dire que le capitalisme c’est pas bien, même si je le pense parfois un peu. Par contre, c’est vrai que Berstein l’a dit : le totalitarisme parfait, c’est 1984. Et Big Brother, il est pas mal présent dans la société actuelle.
La société de consommation produit sans aucun doute un effet de coercition très fort qui nous pousse à normer nous-mêmes notre comportement. Nous sommes donc – et là aussi, ça ne fait aucun doute – poussés à acheter une Xbox qui nous surveillera pendant notre sommeil. Mais est-on pour autant dans une situation de contrôle total de la société par un pouvoir politique ? Certes non, même si, en effet, il est plus que probable que la CIA puisse nous surveiller via Facebook, Xbox live, Gmail et World of Warcraft. Qu’elle le fasse réellement ou non n’est pas la question, puisque la conscience de la surveillance devrait nous pousser à l’autocensure.
Pourtant, ça ne me semble pas être le cas, même si ce n’est qu’une simple observation tirée de mes propres réseaux. La réponse, c’est donc qu’il n’y a pas vraiment de réponse : l’œil de Big Brother est sans doute là, mais Big Brother lui-même n’existe pas vraiment. Nous rendons volontairement publique, que ce soit ou non conscient, une partie plus ou moins importante de notre vie. Mais il n’appartient qu’à nous – tu le fais très bien – de choisir ce que nous rendons public, de compartimenter, de conserver des espaces privatifs dont nous sommes libres de choisir la taille.
Et en définitive, même si cette ultra publicité d’une partie de notre vie privée peut nous conduire à nous autocensurer par peur du contrôle, il ne tient qu’à nous de choisir ce que nous soumettons à ce contrôle potentiel, limitant ainsi l’espace de ce totalitarisme 2.0.

L’introuvable conclusion de l’historien

Après ces deux questions d’une actualité brûlante, vient le temps d’un retour à l’histoire. Ce n’est certes pas indispensable, mais la volonté de vulgarisation de Berstein, dont la conférence fut d’une simplicité qui m’a étonné face à un auditoire qu’on pourrait croire plus compétent en histoire – la séance de questions m’a donné tort pour une partie dudit auditoire –, me conduit à essayer de « traduire » ses conclusions en les insérant dans des schémas familiers pour l’historien des droites que je suis.
Reprenons. On a vu dans la synthèse de la conférence que le populisme pouvait se résumer à un nombre limité d’ingrédients : appel au peuple, rejet de l’autre (c’est-à-dire, le plus souvent, xénophobie), rejet aussi de la démocratie libérale, qu’on veut remplacer par quelque chose de plus « efficace » – je vous laisse deviner tout ce qu’on peut mettre derrière ce mot –, nationalisme exacerbé, et éventuellement, dans l’Europe contemporaine, rejet de l’UE et volonté de revenir à un « avant » fantasmé et idéalisé. Pour le fascisme, c’est un peu la même chose, mais avec un petit plus : le bellicisme et la violence exacerbée du discours et de la pratique, qui se traduit notamment par un pouvoir autoritaire à tendance totalitaire.
Ce n’est un secret pour personne, Berstein a fréquenté notre père à tous : René Rémond. Ce dernier, dans Les Droites en France, paru pour la première fois en 1953, définit dans le cadre français trois droites : légitimiste, orléaniste et bonapartiste, chacune portant l’héritage d’une des formes de monarchie qu’a connu notre pays au XIXe siècle. Lorsqu’on lui pose la question du fascisme, René Rémond explique le considérer comme un simple avatar du bonapartisme, au même titre, d’ailleurs, que le gaullisme. Les éléments communs au fascisme et au populisme que nous venons de définir sont en effet très similaires au bonapartisme tel que le décrit Rémond, et dont on a vu se développer différentes variantes, du boulangisme aux ligues et au gaullisme. On peut dès lors considérer que le populisme est bien un bonapartisme au sens rémondien.
Mais qu’en est-il du fascisme ? La dimension belliciste est certes là aussi commune au bonapartisme, ou en tout cas à la pratique du pouvoir de Napoléon. Mais la dimension révolutionnaire et le penchant totalitaire du fascisme semblent quelque peu sortir du cadre. En introduisant une rupture nette entre fascisme et populisme, dont il semble bien vouloir montrer que, s’ils présentent des similitudes, ils ne doivent en aucun cas être confondus ou assimilés, Berstein semble donc s’inscrire dans la lignée de Zeev Sternhell, théoricien de la quatrième droite, une droite révolutionnaire, autrement appelée fascisme. Le fascisme vise à renverser le régime en place, à la différence du populisme pour qui cet aspect est surtout un discours de façade. Le populisme – et donc Jean-Luc Mélenchon – n’est donc révolutionnaire que dans les mots, dans l’attitude. Et pan. Mais je ne fais pas de politique, sinon comme historien, et vous pouvez donc oublier ce que je viens d'écrire. 

Sur ce, à bientôt pour de nouvelles aventures, et n'hésitez pas à réagir, partager, m'écrire, me poser des questions, retweeter, en parler à votre boulangère, boire un verre à ma santé, etc.