Il y a quelques jours, ayant besoin d’une secrétaire
compétente, j’emmenai ma compagne à une conférence à l’IEP de Lyon. Serge
Berstein y intervenait, à la demande de l’association Ogmios, sur le thème
« Fascisme d’hier, populisme d’aujourd’hui ? ». Or l’excellente
dactylographe qui m’accompagnait est aussi une jeune femme intelligente. Elle a
donc décidé de donner sur son blog une synthèse humoristique de la
conférence, dont elle reprend avec brio les points essentiels. Vous pouvez lire
cet article en cliquant ICI. Et d’ailleurs, je vous conseille de le faire,
parce que sinon, vous ne comprendrez pas grand-chose à ce que je vais écrire.
Pour vous faciliter la tâche, je vous ai remis le lien ICI aussi. Et ICI.
Ca y est ? Vous avez lu ? L’article se termine
donc par deux questions adressées à un certain
M’sieur Sambuis – votre serviteur –, auxquelles je vais donc tenter de
répondre avant d’entrer plus avant dans la conférence de Serge Berstein en vous
exposant les quelques réflexions qui me sont venues sur le chemin du retour –
et devant un plat de sushis, puisqu’on ne peut rien vous cacher.
« Il a pas parlé de la Russie »
Non, c’est vrai, il n’en a pas parlé. Pas un mot de la
Russie d’avant la chute de l’URSS. Peut-être parce que les exemples de la
Hongrie, dont le gouvernement est ouvertement populiste, de l’Autriche, où le
parti d’extrême-droite de l’ambivalent Jorg Haider a participé à la coalition
gouvernementale il y a quelques années, et des partis populistes français
contemporains, FN et FDG, suffisaient à montrer ce qu’il voulait montrer. Il ne
faut pas multiplier les exemples devant une assistance aussi nombreuse et
jeune, on risquerait de les perdre…
Ta question, petite fille, est donc judicieuse, mais mérite
quelques éclaircissements préalables. Déjà, on ne parle pas de goulag pour les
prisons de Poutine. C’est pas poli, mieux vaut utiliser des euphémismes comme
« camp de rééducation politique » ou quelque chose dans ce goût.
Parce que c’est bien de ça qu’il s’agit, de rééducation. Goulag, ça fait
communiste. Tu n’accuserais quand même pas Vladichou d’être un rouge ? De
plus, Poutine ne laisse pas les pays voisins « se tuer entre eux »,
il crée volontairement un climat d’instabilité en soutenant des régimes
autoritaires dans les républiques caucasiennes de la Fédération de Russie, comme
celui de ce brave Kadirov en Tchétchénie, ou encore en intervenant dans les
provinces à forte minorité russe – Ossétie du Sud et Abkhazie – du Nord de la
Géorgie, pour éviter que cette dernière ne se rapproche trop de l’Occident. Ca
s’appelle diviser pour mieux régner. Parce que la Russie d’aujourd’hui est sans
doute un peu nostalgique de la grande URSS. Mais on ne peut en aucun cas y voir
le bellicisme d’un régime fasciste. Pour ce qui est du coté populiste, on peut
certes considérer que la très forte popularité de Poutine – ses scores, eux,
sont sans aucun doute dignes de l’URSS –, ses appels à la fibre patriotique,
voire à un nationalisme exacerbé, l’absence de réelle condamnation de la
xénophobie, très présente et qui aboutit à de nombreuses agressions contre les
immigrés originaires des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale et
du Caucase – qui n’ont pour ainsi dire aucun droit, soit dit en passant –, la
mise en avant de Vladimir Poutine, torse nu et pectoraux toniques en couverture
de la presse, tout cela fait franchement penser au populisme tel que le décrit
Berstein. Mais je pense qu’en Russie, cette tendance populiste se mélange à
beaucoup d’autres choses.
Déjà, le système fédéral semble entrer en contradiction avec
l’idée d’un Etat fort. D’autant que les dirigeants, anciens cadres soviétiques
reconvertis dans les affaires et la politique, ne sont pas tous aussi proches
du peuple que Vladimir, loin s’en faut. La Russie d’aujourd’hui, pour moi,
c’est un savant mélange de populisme, d’autoritarisme, d’oligarchie, et surtout
de vodka et de Jeux Olympiques, histoire que la population ne s’intéresse pas
de trop près à tout ça.
Voila pour ta première question, même si je suis à peu près
aussi expert de la Russie que Berstein de la Corée du Nord. D’ailleurs, c’est
peut-être aussi parce qu’il maitrisait moins bien cet exemple que ceux qu’il a
développés qu’il ne l’a pas utilisé.
« Le capitalisme du début du XXIe siècle, c’est pas une
forme de totalitarisme ? »
Bon… Mon propos, ici, c’est pas de faire de la politique ou
de hurler avec les loups que le FN et Mélenchon c’est pas la même chose. C’est
pas non plus de te dire que le capitalisme c’est pas bien, même si je le pense
parfois un peu. Par contre, c’est vrai que Berstein l’a dit : le totalitarisme
parfait, c’est 1984. Et Big Brother,
il est pas mal présent dans la société actuelle.
La société de consommation produit sans aucun doute un effet
de coercition très fort qui nous pousse à normer nous-mêmes notre comportement.
Nous sommes donc – et là aussi, ça ne fait aucun doute – poussés à acheter une
Xbox qui nous surveillera pendant notre sommeil. Mais est-on pour autant dans
une situation de contrôle total de la
société par un pouvoir politique ? Certes non, même si, en effet, il est
plus que probable que la CIA puisse nous surveiller via Facebook, Xbox live,
Gmail et World of Warcraft. Qu’elle le fasse réellement ou non n’est pas la
question, puisque la conscience de la surveillance devrait nous pousser à
l’autocensure.
Pourtant, ça ne me semble pas être le cas, même si ce n’est
qu’une simple observation tirée de mes propres réseaux. La réponse, c’est donc
qu’il n’y a pas vraiment de réponse : l’œil de Big Brother est sans doute
là, mais Big Brother lui-même n’existe pas vraiment. Nous rendons
volontairement publique, que ce soit ou non conscient, une partie plus ou moins
importante de notre vie. Mais il n’appartient qu’à nous – tu le fais très bien
– de choisir ce que nous rendons public, de compartimenter, de conserver des
espaces privatifs dont nous sommes libres de choisir la taille.
Et en définitive, même si cette ultra publicité d’une partie
de notre vie privée peut nous conduire à nous autocensurer par peur du
contrôle, il ne tient qu’à nous de choisir ce que nous soumettons à ce contrôle
potentiel, limitant ainsi l’espace de ce totalitarisme 2.0.
L’introuvable conclusion de l’historien
Après ces deux questions d’une actualité brûlante, vient le
temps d’un retour à l’histoire. Ce n’est certes pas indispensable, mais la
volonté de vulgarisation de Berstein, dont la conférence fut d’une simplicité
qui m’a étonné face à un auditoire qu’on pourrait croire plus compétent en
histoire – la séance de questions m’a donné tort pour une partie dudit
auditoire –, me conduit à essayer de « traduire » ses
conclusions en les insérant dans des schémas familiers pour l’historien des
droites que je suis.
Reprenons. On a vu dans la synthèse de la conférence que le
populisme pouvait se résumer à un nombre limité d’ingrédients : appel au
peuple, rejet de l’autre (c’est-à-dire, le plus souvent, xénophobie), rejet
aussi de la démocratie libérale, qu’on veut remplacer par quelque chose de plus
« efficace » – je vous laisse deviner tout ce qu’on peut mettre
derrière ce mot –, nationalisme exacerbé, et éventuellement, dans l’Europe
contemporaine, rejet de l’UE et volonté de revenir à un « avant »
fantasmé et idéalisé. Pour le fascisme, c’est un peu la même chose, mais avec un
petit plus : le bellicisme et la violence exacerbée du discours et de la
pratique, qui se traduit notamment par un pouvoir autoritaire à tendance
totalitaire.
Ce n’est un secret pour personne, Berstein a fréquenté notre
père à tous : René Rémond. Ce dernier, dans Les Droites en France, paru pour la première fois en 1953, définit
dans le cadre français trois droites : légitimiste, orléaniste et
bonapartiste, chacune portant l’héritage d’une des formes de monarchie qu’a
connu notre pays au XIXe siècle. Lorsqu’on lui pose la question du fascisme,
René Rémond explique le considérer comme un simple avatar du bonapartisme, au
même titre, d’ailleurs, que le gaullisme. Les éléments communs au fascisme et
au populisme que nous venons de définir sont en effet très similaires au
bonapartisme tel que le décrit Rémond, et dont on a vu se développer différentes
variantes, du boulangisme aux ligues et au gaullisme. On peut dès lors
considérer que le populisme est bien un bonapartisme au sens rémondien.
Mais qu’en est-il du fascisme ? La dimension belliciste
est certes là aussi commune au bonapartisme, ou en tout cas à la pratique du
pouvoir de Napoléon. Mais la dimension révolutionnaire et le penchant
totalitaire du fascisme semblent quelque peu sortir du cadre. En introduisant
une rupture nette entre fascisme et populisme, dont il semble bien vouloir
montrer que, s’ils présentent des similitudes, ils ne doivent en aucun cas être
confondus ou assimilés, Berstein semble donc s’inscrire dans la lignée de Zeev
Sternhell, théoricien de la quatrième droite, une droite révolutionnaire, autrement appelée fascisme. Le fascisme vise à
renverser le régime en place, à la différence du populisme pour qui cet aspect
est surtout un discours de façade. Le populisme – et donc Jean-Luc Mélenchon –
n’est donc révolutionnaire que dans les mots, dans l’attitude. Et pan. Mais je ne fais pas de politique, sinon comme historien, et vous pouvez donc oublier ce que je viens d'écrire.
Sur ce, à bientôt pour de nouvelles aventures, et n'hésitez pas à réagir, partager, m'écrire, me poser des questions, retweeter, en parler à votre boulangère, boire un verre à ma santé, etc.
"Et en définitive, même si cette ultra publicité d’une partie de notre vie privée peut nous conduire à nous autocensurer par peur du contrôle, il ne tient qu’à nous de choisir ce que nous soumettons à ce contrôle potentiel, limitant ainsi l’espace de ce totalitarisme 2.0." :
RépondreSupprimerEn tant qu'informaticien, je me permets de relativiser.
Evidemment, nous ne sommes pas obligés, sinon par convention sociale ou esprit grégaire, de faire un certain nombre de choses que nous faisons : Facebook, google et xBox en sont des exemples criants. même notre portable peut être de ceux-ci, puisque "avant ca fonctionnait aussi". Alors ok, on peut choisir.
Mais pas tout. Genre, je ne choisis pas dans quelle base de donnée de vendeur j'apparais en achetant tel produit. Genre, si je perds mon boulot et que je vais à l'ANPE, je serai enregistré dans une base de donnée informatique et centralisée, nommément et avec mon adresse. Et je n'aurai aucun contrôle possible sur l'utilisation de ces données.
Cela n'aurait aucun impact, et ne constituerait aucun problème, si par ailleurs nos gouvernements (et nos publicitaires, et nos grandes multinationales, et et et, mais un service privé, je peux la plupart du temps le refuser / contourner) ne se montraient pas friands de données informatiques, accumulant souvent sans but véritable tout ce qu'ils peuvent trouver, recoupant, etc, oeuvrant ainsi, sous couvert de recherche d'une sécurité absolue qui n'existe pas, à notre surveillance.
Et donc, si le gros de nos données est certainement choisi d'une maniére ou une autre (je ne suis pas sûr qu'il s'agisse vraiment, pour la plupart des gens, d'un "choix", compte tenu de leur degré d'information en la matière), il y a le reste. Ce n'est pas (encore) Big Brother, mais la volonté est là.