Après un nouveau lot d’émotions fortes – merci la SNCF –,
nous repartons donc pour une nouvelle journée de folie. J’arrive en retard de
20 min environ, et tout le monde est encore en train de prendre le café dans le
hall, ce à quoi les succulentes mini-viennoiseries offertes par l’Académie de
Grenoble ne sont sans doute pas étrangères.
Ouverture
C’est cette fois Guy Cherqui, IA-IPR, qui accompagne Yaël
Briswalter, Délégué académique au numérique pour ouvrir la journée. Le DAN commence par se féliciter du succès
de l’émission de webradio de la veille – je me sens un peu honteux de ne pas
être resté, d’autant que j’ai été interviewé – et en profite pour rappeler le
sens que ce type de projets donne au travail par compétences, grâce à une
interdisciplinarité et un but concret qui permettent d’accrocher tous les
élèves, quand l’enseignement traditionnel tend à ne fonctionner réellement
qu’avec une élite.
Guy Cherqui met ensuite à profit son indéniable talent de
tribun. C’est un véritable frisson qui parcourt les échines de l’assistance
lorsqu’il exhorte les enseignants et éducateurs à rompre avec une école où
règne la peur, peur de l’examen, du règlement, de la sanction, de l’enfermement
physique et intellectuel, dans des établissements où le carnet de
correspondance, au départ outil de communication avec les familles, devient
l’indispensable, le sauf-conduit, le laissez-passer sans lequel rien n’est
possible. Pour cela, selon lui, une solution : une école de la guidance, où le professeur enseigne on side et non plus in front, où l’on sortirait des exercices figés et du cadre rigide
des disciplines. C’est là la piste proposée par Guy Cherqui pour sortir d’un
cercle vicieux où la violence à l’école répond sans cesse à la violence de
l’école. C’est son avis.
JVV
Si l’on n’est pas forcément d’accord sur le fond, il faut
reconnaître que chez Guy Cherqui, l’art oratoire le dispute à celui de la transition.
Cette dernière est en effet toute trouvée avec la conférence de Laurent Bègue,
qui revient sur un sujet classique, le rapport entre violence et jeux vidéo
violents (JVV), qu’il observe avec le regard du psychologue social.
Le directeur de la Maison des Sciences de l’Homme des Alpes
se propose ainsi de répondre à une question simple : les JVV ont-ils une
fonction cathartique ou exacerbent-ils la violence ? Au terme d’un exposé
brillant, quoique parfois un peu technique, il semble ainsi qu’il y ait bien un
lien entre pratique des JVV et violence IRL (in real life). En outre, c’est bien le jeu qui crée ou entretient
la violence, sans effet de catharsis, même s’il peut parfois apparaître comme
un exutoire. Surtout, la pratique intensive modifie durablement la perception
de la violence réelle, avec des conséquences inconnues sur le long terme.
Algorithmique
Vient ensuite le moment de la conférence qui fut sans doute
l’un des temps forts de cette seconde journée. Partant de ce qui peut sembler
n’être qu’une anecdote – la censure par Facebook d’un nu féminin publié sur la
page du musée du Jeu de Paume qui faisait –, Mathieu Loiseau, chercheur en
environnements numériques, livre quelques clés pour comprendre les algorithmes
qui permettent à Facebook de contrôler les milliards de photos publiées par ses
utilisateurs. Dans un second temps, quelques principes de base ayant été posés,
on voit se dessiner les contours du système d’analyse des données mises en
ligne par les utilisateurs, M. Loiseau démontrant par des moyens très simples
que les algorithmes du réseau social traitent jusqu’au contenu des messages
personnels, ce qui lui permet de personnaliser à l’extrême les publicités vues
par chaque membre – enfin, pas tous : moi, j’ai Adblock –, le tout sans la
moindre entorse à la loi, cette utilisation intégrale des contenus postés sur
la plateforme étant prévue par les CGU acceptées par les utilisateurs lors de
leur inscription.
A la fin de cette courte mais brillante intervention, une
conclusion s’impose : il semble indispensable, pour répondre à
l’exhortation de Christian Jacob et devenir braconnier du web, d’acquérir au
préalable un bagage de connaissances et de capacités techniques, de savoir
computer comme on sait lire ou écrire, comme l’annonçait il y a longtemps déjà
Eric Bruillard.
Back to the workshop
Cette fois, les ateliers sont répartis autour de la pause
méridienne. Dans un premier temps, je découvre le temps d’une discussion sur
les stéréotypes genrés dans les médias le collectif CORTECS, dont nous
reparlerons, avec des analyses très intéressantes, sinon originales. Le temps
de déjeuner – avec ma grand-mère, je sais que ma vie vous passionne – et c’est
reparti. Cette fois, les excellents Yaël Briswalter et Delphine Barbirati nous
présentent un projet très original de révision de bac de français utilisant la
page Spotted des L du lycée Vaugelas pour publier des poèmes réalisés à partir
des textes du corpus de l’examen, que les élèves retravaillent avec des
techniques inspirées de l’Oulipo. On retiendra en particulier le savoureux
« Une passante du Luxembourg », hybride de deux poèmes bien connus.
Le tout s’accompagne d’une introduction en classe des smartphones (BYOD inside !) et d’une réflexion
sur le droit d’auteur.
Autodéfense intellectuelle
Après ces deux ateliers très stimulants, retour au CRDP pour
une dernière conférence, judicieusement nommée « conférence de
clôture » sur le programme. C’est Denis Caroti, animateur de mon atelier
du matin, professeur de SPC et membre du CORTECS (Collectif de recherchestransdisciplinaire esprit critique et sciences), qui est chargé de refermer en
beauté ces deux journées de colloque. Elève d’Henri Broch et membre du Cerclede zététique, il tente de nous transmettre quelques notions d’autodéfense
intellectuelle – l’expression est de Noam Chomsky. L’idée est de se prémunir
contre les nombreux biais de la vulgarisation scientifique, en particulier dans
les médias de masse. On voit ainsi Laurent Delahousse faire des idées fumeuses
des frères Bogdanov « une théorie audacieuse contestée par une partie de
la communauté scientifique » – et seulement une partie – à une heure de
grande écoute, tandis que Science&Vie
empile les titres « choc » pour un contenu pas toujours à la hauteur,
induisant en erreur le commun des mortels qui ne fait qu’apercevoir la
couverture, et que « Les secrets du magnétisme » cache en fait une
énième médecine parallèle.
Face à cela, une seule arme : l’esprit critique, qu’il
faut cependant former. Denis Caroti donne ainsi un aperçu de la manière dont on
peut transmettre à des lycéens les rudiments de la méthode scientifique –
approuvée par Popper et Cie – ce qui est bien sûr impossible sans des rudiments
de culture scientifique.
C’est sur cette intervention brillante et drôle que se
referme un colloque riche d’enseignements pour le jeune professeur que je suis.
Quelques contacts noués sur Twitter devraient me permettre de poursuivre
l’exploration de cette approche très intéressante du métier d’enseignant.
Et bien sûr, je vous rappelle que je tiens à la disposition de qui le désire ma prise de notes, par simple demande (commentaire ou Twitter, @yannsambuis). N'hésitez pas à me contacter ;)
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