mercredi 29 janvier 2014

Mon colloque "Education aux médias". Journée 2, Médias : une fabrique de la violence et de la surveillance ?

Comme pour l'article précédent, dont vous trouverez ici la suite (je vous conseille donc de lire d'abord le début) je tiens à préciser que ce qui suit n'est en aucun cas un compte-rendu objectif. Ce sont mes impressions, ce qui me restera de ces deux jours. Toutefois, je tiens à la disposition de qui le désire ma prise de notes, par simple demande (commentaire ou Twitter, @yannsambuis).

Après un nouveau lot d’émotions fortes – merci la SNCF –, nous repartons donc pour une nouvelle journée de folie. J’arrive en retard de 20 min environ, et tout le monde est encore en train de prendre le café dans le hall, ce à quoi les succulentes mini-viennoiseries offertes par l’Académie de Grenoble ne sont sans doute pas étrangères.

Ouverture

C’est cette fois Guy Cherqui, IA-IPR, qui accompagne Yaël Briswalter, Délégué académique au numérique pour ouvrir la journée. Le DAN commence par se féliciter du succès de l’émission de webradio de la veille – je me sens un peu honteux de ne pas être resté, d’autant que j’ai été interviewé – et en profite pour rappeler le sens que ce type de projets donne au travail par compétences, grâce à une interdisciplinarité et un but concret qui permettent d’accrocher tous les élèves, quand l’enseignement traditionnel tend à ne fonctionner réellement qu’avec une élite.
Guy Cherqui met ensuite à profit son indéniable talent de tribun. C’est un véritable frisson qui parcourt les échines de l’assistance lorsqu’il exhorte les enseignants et éducateurs à rompre avec une école où règne la peur, peur de l’examen, du règlement, de la sanction, de l’enfermement physique et intellectuel, dans des établissements où le carnet de correspondance, au départ outil de communication avec les familles, devient l’indispensable, le sauf-conduit, le laissez-passer sans lequel rien n’est possible. Pour cela, selon lui, une solution : une école de la guidance, où le professeur enseigne on side et non plus in front, où l’on sortirait des exercices figés et du cadre rigide des disciplines. C’est là la piste proposée par Guy Cherqui pour sortir d’un cercle vicieux où la violence à l’école répond sans cesse à la violence de l’école. C’est son avis.

JVV

Si l’on n’est pas forcément d’accord sur le fond, il faut reconnaître que chez Guy Cherqui, l’art oratoire le dispute à celui de la transition. Cette dernière est en effet toute trouvée avec la conférence de Laurent Bègue, qui revient sur un sujet classique, le rapport entre violence et jeux vidéo violents (JVV), qu’il observe avec le regard du psychologue social.
Le directeur de la Maison des Sciences de l’Homme des Alpes se propose ainsi de répondre à une question simple : les JVV ont-ils une fonction cathartique ou exacerbent-ils la violence ? Au terme d’un exposé brillant, quoique parfois un peu technique, il semble ainsi qu’il y ait bien un lien entre pratique des JVV et violence IRL (in real life). En outre, c’est bien le jeu qui crée ou entretient la violence, sans effet de catharsis, même s’il peut parfois apparaître comme un exutoire. Surtout, la pratique intensive modifie durablement la perception de la violence réelle, avec des conséquences inconnues sur le long terme.

Algorithmique

Vient ensuite le moment de la conférence qui fut sans doute l’un des temps forts de cette seconde journée. Partant de ce qui peut sembler n’être qu’une anecdote – la censure par Facebook d’un nu féminin publié sur la page du musée du Jeu de Paume qui faisait –, Mathieu Loiseau, chercheur en environnements numériques, livre quelques clés pour comprendre les algorithmes qui permettent à Facebook de contrôler les milliards de photos publiées par ses utilisateurs. Dans un second temps, quelques principes de base ayant été posés, on voit se dessiner les contours du système d’analyse des données mises en ligne par les utilisateurs, M. Loiseau démontrant par des moyens très simples que les algorithmes du réseau social traitent jusqu’au contenu des messages personnels, ce qui lui permet de personnaliser à l’extrême les publicités vues par chaque membre – enfin, pas tous : moi, j’ai Adblock –, le tout sans la moindre entorse à la loi, cette utilisation intégrale des contenus postés sur la plateforme étant prévue par les CGU acceptées par les utilisateurs lors de leur inscription.
A la fin de cette courte mais brillante intervention, une conclusion s’impose : il semble indispensable, pour répondre à l’exhortation de Christian Jacob et devenir braconnier du web, d’acquérir au préalable un bagage de connaissances et de capacités techniques, de savoir computer comme on sait lire ou écrire, comme l’annonçait il y a longtemps déjà Eric Bruillard.

Back to the workshop

Cette fois, les ateliers sont répartis autour de la pause méridienne. Dans un premier temps, je découvre le temps d’une discussion sur les stéréotypes genrés dans les médias le collectif CORTECS, dont nous reparlerons, avec des analyses très intéressantes, sinon originales. Le temps de déjeuner – avec ma grand-mère, je sais que ma vie vous passionne – et c’est reparti. Cette fois, les excellents Yaël Briswalter et Delphine Barbirati nous présentent un projet très original de révision de bac de français utilisant la page Spotted des L du lycée Vaugelas pour publier des poèmes réalisés à partir des textes du corpus de l’examen, que les élèves retravaillent avec des techniques inspirées de l’Oulipo. On retiendra en particulier le savoureux « Une passante du Luxembourg », hybride de deux poèmes bien connus. Le tout s’accompagne d’une introduction en classe des smartphones (BYOD inside !) et d’une réflexion sur le droit d’auteur.

Autodéfense intellectuelle

Après ces deux ateliers très stimulants, retour au CRDP pour une dernière conférence, judicieusement nommée « conférence de clôture » sur le programme. C’est Denis Caroti, animateur de mon atelier du matin, professeur de SPC et membre du CORTECS (Collectif de recherchestransdisciplinaire esprit critique et sciences), qui est chargé de refermer en beauté ces deux journées de colloque. Elève d’Henri Broch et membre du Cerclede zététique, il tente de nous transmettre quelques notions d’autodéfense intellectuelle – l’expression est de Noam Chomsky. L’idée est de se prémunir contre les nombreux biais de la vulgarisation scientifique, en particulier dans les médias de masse. On voit ainsi Laurent Delahousse faire des idées fumeuses des frères Bogdanov « une théorie audacieuse contestée par une partie de la communauté scientifique » – et seulement une partie – à une heure de grande écoute, tandis que Science&Vie empile les titres « choc » pour un contenu pas toujours à la hauteur, induisant en erreur le commun des mortels qui ne fait qu’apercevoir la couverture, et que « Les secrets du magnétisme » cache en fait une énième médecine parallèle.
Face à cela, une seule arme : l’esprit critique, qu’il faut cependant former. Denis Caroti donne ainsi un aperçu de la manière dont on peut transmettre à des lycéens les rudiments de la méthode scientifique – approuvée par Popper et Cie – ce qui est bien sûr impossible sans des rudiments de culture scientifique.

C’est sur cette intervention brillante et drôle que se referme un colloque riche d’enseignements pour le jeune professeur que je suis. Quelques contacts noués sur Twitter devraient me permettre de poursuivre l’exploration de cette approche très intéressante du métier d’enseignant. 

Et bien sûr, je vous rappelle que je tiens à la disposition de qui le désire ma prise de notes, par simple demande (commentaire ou Twitter, @yannsambuis). N'hésitez pas à me contacter ;)

mardi 28 janvier 2014

Mon colloque "Education aux médias". Journée 1 : Ecriture et travail collaboratif


Depuis septembre, je ne suis plus seulement jeune chercheur, et presque plus étudiant, même si je suis inscrit en doctorat. J'enseigne l'histoire-géographie en lycée général dans l'académie de Grenoble. Cela m'amène à découvrir les nombreuses passerelles qui existent entre mon intérêt ancien pour l'histoire numérique, en particulier la vulgarisation, et l'évolution récente de l'enseignement. J'ai ainsi eu l'opportunité de me rendre à Grenoble pour un colloque très intéressant. Ceci n'est en aucun cas un compte-rendu objectif. Ce sont mes impressions, ce qui me restera de ces deux jours. Toutefois, je tiens à la disposition de qui le désire ma prise de notes, par simple demande (commentaire ou Twitter, @yannsambuis).

Je suis un homme de convictions. Des fois, j’aimerais l’être un peu moins, mais c’est comme ça. Ce mercredi 22 janvier, alors que je sors d’une semaine moralement éprouvante et que je pourrais me contenter d’aller dispenser mon heure de cours de seconde à Pont-de-Beauvoisin, je me lève donc à 5h30 – ça ne me change pas beaucoup, me direz-vous – pour partir à Grenoble, assister au colloque organisé au CRDP sur le thème de l’éducation aux médias, et plus particulièrement au numérique. Après quelques péripéties ferroviaires, j’arrive donc au dit centre de documentation aux alentours de 8h30. Le hall est déjà bondé. Entre café, jus de fruit et viennoiseries, on tente de nous vendre divers ouvrages se rapportant au thème du colloque. Pendant ce temps, un écran permet de suivre l’actualité – encore faible – du hashtag #educmedia2014 sur Twitter. La grande classe. Un petit tour par les listes d’émargement et les inscriptions aux ateliers de l’après-midi, et c’est parti.
L’auditorium est superbe. Dommage qu’il n’y ait en tout et pour tout que 4 prises électriques pour environ 150 participants. Pour un colloque s’intéressant en grande partie au numérique, c’est ballot… Mais qu’importe, je réussirai à squatter une prise pour les deux jours.

Ouverture

Ces détails techniques réglés, on entre dans le vif du sujet avec l’ouverture de la première journée par Yaël Briswalter, Délégué académique au numérique, et J.-L Durpaire, IGEN. Tous deux rappellent la prégnance actuelle des enjeux liés aux médias dans l’enseignement, l’éducation aux médias et au numérique étant appelée à intégrer le socle commun de compétences du collège. M. Durpaire insiste notamment sur la nécessité pour la France de ne pas rester à la traine du monde anglo-saxon, très en pointe dans ce domaine, à l’image du BETT Show de Londres. Les orientations grandes de l’édition 2014 ; mobilité, équipement personnel des élèves (BYOD, bring your own device), réseaux sociaux et informatique comme discipline scolaire, seront d’ailleurs à l’honneur tout au long du colloque. L’allocution se termine sur une présentation de ce que devrait être la future éducation aux médias et à l’informatique, avec 3 dimensions essentielles : accès à l’information, production et diffusion de contenus, et last but not least, accès à une compréhension du monde de l’information et des médias.

Lieux de savoir

Commence alors l’un des temps forts de ce colloque, le propos introductif de Christian Jacob, directeur d’études à l’EHESS, à la tête du projet « Lieux de savoir ». Je ne m’étendrai pas sur son propos, qu’il a lui-même mis en ligne sur le carnet Hypothèses (p. 1, p. 2, p. 3, p. 4) de son équipe de recherche et que je vous conseille de lire dans le texte pour en conserver la saveur intacte. J’en retiendrai seulement l’idée d’une mutation de la géographie des savoirs à l’ère du numérique, de nouveaux lieux de savoir émergeant (MOOC, groupes de travail, blogs…) qui doit  nous plus que jamais nous inciter à reconfigurer notre carte personnelle, à être à la fois géographes et géomètres, mêlant cartographie générale et connaissance fine du terrain, voyageurs, nomades et braconniers – selon l’expression de Michel de Certeau –, souci permanent qu’il importe de transmettre à de jeunes générations qui baignent dans le numérique au point, souvent, de s’y noyer.

Wiki

Après une pause repas – un fort gras et indigeste tacos pour moi, on ne se refait pas – on reprend en compagnie de deux « geeks du savoir ». Quand on parle de diffusion des savoirs su internet, Wikipédia est sans doute le médium qui vient le plus immédiatement à l’esprit. Même si son image s’est assez largement améliorée depuis quelques années, le monde de l’enseignement reste encore très prudent, très suspicieux à l’égard de cet outil, qui est pourtant devenu la première plateforme de diffusion de connaissances en ligne. Ce ne sont sans doute pas les mots de Thomas Darbois, de Wikimédia France, et Mathias Damour, fondateur de l’encyclopédie Vikidia, destinée aux 8-13 ans, qui amèneront les plus réticents à changer d’avis. Si leur exposé montre bien, entre des éclaircissements parfois bien obscurs pour le néophyte sur le fonctionnement des wikis, l’intérêt de telles plateformes dans le cadre de travaux d’écriture collaborative, offrant des pistes très intéressantes dans le cadre de la pédagogie dite « du projet », les deux hommes sont bien loin de rassurer totalement sur la fiabilité des contenus. En son temps, Roy Rosenzweig avait montré, dans un excellent article, qu’en ce qui concerne l’information factuelle en histoire, les contenus de l’encyclopédie collaborative étaient aussi fiables sinon plus que ceux de l’American National Biography Online, Darbois et Damour ont dressé un portrait des wikis qui, s’il se voulait flatteur, insistait bien plus sur la stratégie de « recherche de popularité » de certains auteurs que sur la fiabilité des articles. En outre, l’insistance des intervenants sur l’absolue nécessité de citer ses sources, qui sert de caution « scientifique » à la plateforme, et qui ne s’accompagne d’aucune vérification de la fiabilité de ces sources – sans parler de légitimité, concept rejeté par l’encyclopédie en ligne –, et la volonté de « représenter tous les points de vue » sur un sujet, qui peut conduire à des absurdités scientifiques telles que la mention de théories créationnistes (plus fréquentes sur le portail anglophone), pourraient sembler jeter le discrédit sur le projet qu’ils sont venus défendre. C’est bien dommage, car ce qu’on a omis de nous dire, c’est que, comme l’avait montré Rosenzweig, ces quelques réserves a priori ne valent plus lorsque l’utilisateur sait à quoi il a affaire, et que, dès lors, il est tout à fait possible de travailler avec Wikipédia.

Ateliers

A peine le temps d’un café, et la joyeuse troupe que forme le public du colloque quitte le CRDP pour le lycée Mounier. Au programme, ce qui fait la fierté de toutes les formations estampillées EN – enfin, c’est l’aperçu que ma maigre expérience m’en a donné –, les ateliers. Place, donc, à des discussions plus ou moins productives en groupes restreints (une dizaine de personnes), autour de projets présentés par des collègues et faisant la part belle aux médias numériques. Comme j’ai choisi des ateliers tournant autour des arts plastiques et des lettres, je ne m’étendrai pas dessus outre mesure. Sachez seulement que oui, on peut enseigner en utilisant les réseaux sociaux. J’ai été tout particulièrement séduit, je l’avoue, par la performance holographique réalisée par les élèves de L de N. Anquez à Annecy, et par l’expérience de poésie sur Twitter menée par D. Regnard, qui compare la contrainte des 140 signes à celle des 12 syllabes de l’alexandrin.


Soumis à des impératifs ferroviaires, je dois malheureusement quitter les lieux sans repasser par le CRDP où je me suis laissé dire que le mot de clôture de Guy Cherqui et l’émission de webradio présentée par des lycéens grenoblois et écoutable en ligne >>>ici<<< furent des moments fameux.

Edit : Vous pouvez maintenant lire >>>la suite<<<!!!