vendredi 18 avril 2014

1914 : L'enquête d'un Sherlock transalpin (quelques mots sur 1914 de Luciano Canfora, paru en 2014 chez Flammarion)

Le week-en dernier, j'ai rendu une petite visite à un ami historien pour lui remettre une vieille histoire du mouvement en huit volumes que j'avais récupérée et dont je ne savais que faire, mais qui pouvait de toute évidence intéresser un historien de la Commune de Lyon - qui devrait d'ailleurs bientôt publier un ouvrage sur le sujet dont je ne manquerai pas de vous rendre compte sur ce blog. La tradition du troc, pour ne pas dire du potlatch, étant encore vivace à la Guillotière, je suis reparti chez moi avec un bouquin tout beau tout neuf : 1914, de l'historien et philologue italien Luciano Canfora. C'est de ce formidable petit ouvrage que je voudrais vous parler aujourd'hui. 




L'auteur

Luciano Canfora, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est professeur de philologie grecque et latine à l'université de Bari, mais il est surtout connu des italiens - si j'en crois une collègue transalpine - pour ses collaborations régulières au Corriere della Sera et à La Stampa, ainsi que pour ses conférences de vulgarisation historique sur les ondes de la radio publique italienne. 1914, paru en 2006 en Italie et tout récemment chez Champs/Flammarion pour la traduction française, est justement, est justement un recueil de conférences radiophoniques données avant 2006 et ayant pour but d'explorer les facteurs du déclenchement de la Grande Guerre, dont nous fêtons si je m'abuse le centenaire cette année.

19+1

En 19 chapitres et un épilogue, tirés d'autant de courtes conférences, Canfora explore donc dans ses moindres détails ou presque l'année 1914 chez les différents belligérants, de la relation entre Bismarck et Guillaume II à la guerre des propagandes, de l'attentat de Sarajevo à la campagne de Belgique en passant par l'émergence de Lénine ou Mussolini. Rien de bien neuf, certes, mais beaucoupn de fraîcheur. Facile d'accès, l'ouvrage a le mérite de ratisser large et de sortir des sentiers (re)battus de l'historiographie de la Grande Guerre version grand public.

Vu d'Italie

On sort en effet du discours traditionnel sur la Première Guerre mondiale, qui mèle bien souvent histoire et mémoire et, en France, est principalement centré - en ce qui concerne la vulgarisation - soit sur l'histoire-bataille et les épisodes héroïques des taxis de la Marne et autres, soit sur une histoire de la vie quotidienne (allestaggeschischte ?) du front ou de l'arrière, du poilu et de sa chère famille.
L'un des principaux mérites de ce livre est donc d'avoir été écrit par un Italien.
Evidemment, cela implique de la part du lecteur français un petit effort d'adaptation, l'auteur supposant que son auditoire possède quelques bases en histoire de l'Italie contemporaine - oui, il faut savoir ce que sont les "terres irrédentes" et avoir une vague idée de qui est Alcide de Gasperi. Mais cela permet aussi et surtout de dépasser la vision française de la Première Guerre, trop souvent une histoire de vainqueur.
L'Italie, certes, est aussi un vainqueur de 14-18. Mais le pays, membre de la Triplice en froid avec l'allié autrichien, qui entre en guerre tardivement et du coté de l'Entente être longtemps resté neutre, et qui connait à Caporetto la seule grande rupture de front du coté occidental, est surtout un vainqueur déçu, frustré. L'idée d'une "victoire mutilée", puisque les "terres irrédentes" du Trentin et du Haut-Adige ne sont pas rétrocédées, sans parler des cotes de l'Adriatique réclamées comme anciennes possessions de la République de Venise, restent dans l'entre-deux guerres la grande obsession de l'Italie, accompagnant le glissement vers le fascisme. L'historiographie italienne est donc, sur cette période, très différente de son homologue française, ce qui nous permet de jeter sur l'année 1914 un regard neuf, avec notamment un regard très intéressant sur les positions autrichiennes et allemandes - pays dont l'Italie est d'abord l'alliée -, les guerres balkaniques et l'attentat de Sarajevo - on vient de voir que la région intéressait de près le gouvernement italien.

Un très bon petit livre, donc, qui permet, en cette période de célébrations mémorielles, de garder à l'esprit qu'il n'est pas de mémoire sans histoire - bien plus que l'inverse, d'ailleurs. D'autant que, cerise sur le gâteau, l'ouvrage fai actuellement l'objet d'une offre de la part des éditions Flammarion, ce qui pourrait vous permettre de vous le procurer gratuitement chez votre libraire (enfin, il doit falloir acheter quelque chose quand même...).

Sur ce, à plus, et n'hésitez pas à réagir !