mardi 4 octobre 2016

Quand les historiens nationalistes infiltrent le collège : à propos du manuel gratuit de la Fondation Aristote.


Depuis la rentrée, je vois régulièrement passer dans mon fil d’actualité Facebook une publication sponsorisée – je n’ai pas pensé à faire une capture, je la ferai si l’occasion se présente – m’invitant à télécharger gratuitement un manuel d’histoire « nouveau programme » pour le Cycle 4 – c’est comme ça qu’on appelle la 5e, la 4e et la 3e dans le collège d’aujourd’hui – édité par une Fondation Aristote, proche de Civitas et de la Manif pour tous, et dirigé par le tristement célèbre Dimitri Casali, qui avait déjà commis l’édition augmentée et mise à jour du manuel d’histoire d’Ernest Lavisse, pierre angulaire du roman national de la IIIe République. Alors que les manifestations contre la réforme du collège avaient été marquées par la présence de militants de la droite catholique, nationaliste et réactionnaire, qui distribuaient en marge des cortèges des tracts fustigeant l’enseignement de la « théorie du genre » ou réclamant le retour à un enseignement de l’histoire mis prioritairement au service de l’identité nationale, l’irruption de cette mouvance dans le « nouveau collège » peut étonner. Elle n’a en fait rien d’étonnant : quel meilleur moyen d’instiller dans les esprits une version biaisée et politisée de l’histoire que de mettre à disposition gratuitement un manuel complet au moment où les professeurs des collèges sont en demande de ressources permettant de créer des cours adaptés aux nouveaux programmes ? J’ai donc téléchargé ledit manuel (je peux le mettre à disposition de ceux qui ne souhaitent pas laisser leur mail à la Fondation Aristote), et je vais tenter d’en livrer une rapide analyse critique.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une précision : je n’enseigne pas et je n’ai jamais enseigné en collège. Je n’entrerai donc pas dans le détail des contenus pédagogiques et des exercices, et je ne suis pas en mesure de dire si le programme est respecté – je suppose que oui, ils sont trop malins pour faire le contraire –, même si certaines choses me mettent un peu la puce à l’oreille. Si vous voulez réagir et/ou apporter des précisions, n’hésitez pas.

Episode 1 : le programme s’annonce gratiné…



Bon, disons ce qui est, la couverture annonce la couleur : le programme du Cycle 4, ce sera donc Louis XIV en 5e, Napoléon en 4e, et quand même la Liberté pour finir – on suppose que cela illustre la partie du programme de 3e sur la République, on verra que l’ouvrage n’en est pas à un anachronisme près dans le choix des documents. Soit environ 67% d’autoritarisme pour 33% de liberté – en voila une vision de notre histoire nationale qu’elle est belle ! – et un retour en force des « grands personnages » qui fondent le roman national(iste). On note d’ailleurs que les contempteurs de programmes qui « oublient l’histoire nationale » n’auront eu aucun problème à y retrouver lesdits « grands hommes de l’Histoire de Fraaaaance ».

La préface (p. 4-5) est signée Jean-Pierre Chevènement. En soit, c’est déjà tout un programme : le JP, il a bien vieilli, et ça fait un moment qu’il ne fait plus grand-chose d’autre que radoter sur des sujets comme l’identité nationale et la laïcité. Ce n’est pas étonnant qu’à un moment, il se retrouve à cautionner ce genre de bêtises, mais ça l’est quand même un peu plus qu’il fricote avec des copains de Civitas, lui qui aime à se présenter comme un laïcard pur jus. Le contenu de la préface dresse un programme qui a de quoi faire frissonner. L’objectif annoncé : permettre au peuple d’« exercer sa souveraineté » (l. 1) et développer une « conscience civique […], en s’appuyant sur la chronologie et quelques grands personnages propres à frapper l’imagination des élèves » (l. 6-9). Exit, donc, le souci de transmettre une vision la plus objective possible de l’histoire, de développer l’esprit critique, d’éveiller les consciences.

Pour servir ce développement de la « conscience civique », les moyens proposés sont les suivants : glorifier l’histoire nationale et minimiser les critiques qui pourraient être faites. Ainsi, pour l’ancien ministre de l’Education, « la France [n’]occupe [pas], au podium des horreurs du colonialisme, la première place, [et] le livre de Dimitri Casali rappelle utilement l’œuvre de Savorgnan de Brazza au Congo » (l. 25-27). Quelle revanche pour ceux qui, en 2005, voulaient faire inscrire au programme l’enseignement des « aspects positifs de la présence française outre-mer » ! De même « la France n’a pas commis de génocide », et doit donc « rompre avec les surenchères d’humiliations, de violences, de ressentiments et de haines qui menacent aujourd’hui l’Humanité » (l. 28-32) en refusant l’idée d’une « repentance ». Reconnaitre la participation de l’Etat Français à la déportation, et donc indirectement au génocide des juifs de France ou les horreurs de la colonisation serait donc, si l’on lit entre les lignes, humiliant et porteur de violence. Quand à s’en excuser… On préférera montrer que Charlemagne échangeait « des cadeaux avec Haroun al-Rachid (l. 51), le calife de Bagdad », preuve que la France a toujours fait preuve d’une ouverture exemplaire envers les peuples extra-européens.

Enfin, bien sûr, l’enseignement devra être « centré […] sur l’Histoire de la France » plutôt que de s’ouvrir au monde : « Il faut d’abord se connaître soi-même avant de prendre la distance qui permet de s’ouvrir aux autres » (l. 56-58).

Ce que propose le manuel et dont se félicite Jean-Pierre Chevènement, c’est donc le retour à ce passé fantasmé où l’enseignement de l’histoire aurait été au service de la création d’une identité nationale uniforme et partagée, où de « nos ancêtres les Gaulois » à De Gaulle, l’enseignement d’une histoire avant tout française et débarrassée des points d’ombre susceptibles d’instiller dans les esprits le venin du doute et de la division aurait permis de faire apparaitre « quelle somme d’efforts, de combats, de souffrances ont été nécessaires pour « faire France » » (l. 65-66). Pourquoi se fatiguer à convaincre les élèves que la citoyenneté a un sens quand on peut se contenter de leur « raconter des histoires » (l. 10) pour les persuader de la nécessité du nationalisme ?

Penchons-nous donc sur quelques chapitres du manuel à proprement parler…

Episode 2 : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France ». Le sacre de Reims comme acte fondateur de la République.


Bon, le titre est moqueur, mais c’est un peu ma revanche sur une réforme des collèges qui, en faisant de la 6e l’année terminale du Cycle 3, nous prive dans ce manuel d’un chapitre que j’imaginais savoureux sur « nos ancêtres les Gaulois ».

Mais qu’on se console : la double page (p. 14-15) qui ouvre l’année de 5e est savoureuse. Je vous laisse en juger : Casali et Cie ont choisi de placer en exergue une citation de Marc Bloch, « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération ». Le manuel commence donc sous d’étranges auspices, puisque ce qui est affirmé ici, c’est ni plus ni moins que la compréhension qu’auront les élèves du cours se manifestera non pas par l’acquisition de méthodes et de connaissances précises, mais par l’émotion qu’ils seront capables de ressentir. Si sélection il doit y avoir, elle ne départagera pas bons élèves et mauvais élèves – c’est déjà très contestable –, mais bons et mauvais patriotes, Charlie – Martel, VII, X ou De Gaulle ? – et Pas-Charlie. Et pour illustrer ce beau programme et l’année de 5e, une reproduction en pleine page du Baptême de Clovis à Reims à Noël 496 de François-Louis Dejuinne, peint en… 1837 ! Voila un choix de document historique qui interpelle : pourquoi illustrer le Haut Moyen-âge avec un document plus récent de treize siècles, sinon parce que l’objectif est d’enseigner non une histoire objective, mais le roman national construit au cours du XIXe siècle ?

Episode 3 : Anachronisme et statut des sources


L’utilisation de documents anachroniques est en fait un défaut récurrent du manuel de la Fondation Aristote. Ainsi, sur les 22 documents historiques proposés dans le premier chapitre (« L’Europe carolingienne », p. 18-31), seuls 6 sont contemporains de la période étudiée, les autres s’étalant du XIIIe au XIXe siècle : l’épée de Charlemagne, une photographie du dôme de la chapelle palatine, deux reproductions de manuscrits servant à illustrer l’apparition de la minuscule caroline, une pièce de monnaie, et la célèbre statuette équestre de Charlemagne, tout de même datée de plusieurs décennies après sa mort. Plus grave, plusieurs miniatures datant visiblement du Moyen-âge central ou tardif ne sont pas datées, et les « moments fondateurs » qui participent à la création du roman national – sacres de Pépin le Bref et Charlemagne, victoire de Charles Martel contre les Arabes – sont systématiquement illustrés par des peintures du XIXe siècle. En outre, on note qu’à l’exception d’un vers de la Chanson de Roland, pas un seul document textuel n’est proposé à l’étude. En revanche, lorsque les documents anciens ne sont pas disponibles – ou incompatibles avec la ligne éditoriale ? –, le manuel fait appel, comme à la grande époque de l’école « de Jules Ferry », à des illustrations contemporaines et non signées. On trouve même un « trombinoscope » – c’est ainsi qu’il est désigné, p. 32 – des monarques de la période…

On retrouve bien là le projet dont se félicitait Jean-Pierre Chevènement dans la préface. Tandis que le cours déroule sur la page de gauche un récit qui, pour essayer de se donner l’apparence de la distance critique, n’en passe pas moins par tous les clichés – victoire de Charles Martel sur les Arabes, fin de la dynastie Mérovingienne, sacres de Pépin et Charlemagne, renouveau des écoles et mort de Roland à Roncevaux – fondateurs du roman national version IIIe République, la page de droite l’illustre d’images anachroniques mais à même de marquer les esprits, de susciter l’émotion, et dont l’étude critique, si par miracle elle était menée, nous en apprendrait beaucoup moins sur le VIIIe siècle que sur l’utilisation de l’image mythique de la période carolingienne par la monarchie française,  l’Empire et la papauté aux XIIIe et XIVe siècle, puis dans la France du XIXe siècle. En revanche, il est évident que si l’on ne prend pas les précautions nécessaires – ce que le manuel ne fait pas, bien entendu : nul avertissement sur l’anachronisme de documents présents uniquement pour illustrer – en présentant les documents, le simple faits qu’ils aient l’air ancien incitera l’élève de 5e à postuler leur authenticité et leur fiabilité.

Episode 4 : « La Pucelle d’Orléans sauve le royaume »


On pensait avoir touché le fond en termes d’éthique, mais c’était bien mal connaître Dimitri et ses amis. Si dans la plupart des chapitres, le cours reste dans les clous, malgré une tendance au roman national, tentant au minimum de maintenir un semblant de laïcité et de neutralité dans le traitement des sujets, il arrive que les auteurs se lâchent – je sais, ce n’est pas très élégant, mais je ne vois pas comment le dire autrement.

Le summum est atteint p. 110-111, avec une double page « Zoom sur l’histoire » intitulée « 1429 : La Pucelle d’Orléans sauve le royaume ». L’occasion de célébrer un des piliers du roman national dans sa version xénophobe et réactionnaire : Jeanne d’Arc, si chère au maréchal Pétain et à la famille Le Pen. L’étude se compose de deux parties : des encadrés de cours contenant une présentation absolument biaisée de l’histoire, et l’étude d’un document « historique », un tableau peint en 1907, dont le traitement laisse penser qu’il s’agit d’une source historique objective et neutre.


Ainsi, le texte d’accompagnement est d’un manque de neutralité criant. Après avoir célébré le sacre de Charles VII dans la « glorieuse basilique des rois de France » qui lui permet de tenir son pouvoir « directement de Dieu » – sans qu’à aucun moment cela ne soit présenté comme une croyance à prendre avec précaution –, l’auteur fustige le « procès truqué » – peut-il en être autrement dans un tribunal religieux ? – qui condamne Jeanne au bûcher. Plus loin, on peut qu’après son supplice « plus personne ne peut douter de sa sainteté » – est-ce tout de même permis aux élèves qui commettraient le crime de ne pas embrasser la foi chrétienne dans une école laïque ? – et que « Jeanne invente le patriotisme », sans que le moindre argument vienne appuyer cette affirmation. En parallèle, des gros plan sur un tableau du XXe siècle sont utilisés pour illustrer l’armement et les stratégies militaires du XVe siècle, et ce malgré le manque de cohérence historique du type de canon et d’armures représentés.

Episode 5 : The very best of  Histoire RéactionnaireTM


On pourrait continuer longtemps la liste des affirmations péremptoires et des discours idéologiques assénés comme des vérités à des élèves dont l’esprit critique n’est pas encore suffisamment développé pour éviter de tomber dans le piège. Le cours sur Louis XIV s’intitule ainsi « le plus grand des rois de France » (p. 140), tandis qu’aux pages 208-209, on trouve une étude sur « L’extermination en Vendée ». Les auteurs y décrivent une République génocidaire décidant de « déporter les femmes, les enfants et les vieillards » et d’« exterminer » ceux qui restent sur place, tandis que la page de droite présente les chefs vendéens comme des héros et critique la « propagande révolutionnaire » qui déforme la réalité pour dissimuler des massacres. On retrouve là le discours sur un « génocide vendéen », péché originel d’une République qui ne se serait installé qu’au prix de la féroce répression d’un peuple majoritairement attaché à Dieu et au Roi, grand classique de l’histoire révisionniste d’extrême-droite que j’avais déjà abordé dans mon article sur François Huguenin et le torchon qu’il avait publié chez Perrin sous le titre Histoire intellectuelle des Droites.

Comment passer sous silence, ensuite, la double-page (230-231) intitulée « Comment la France envisage-t-elle sa « mission civilisatrice » dans les colonies ? » ? Faisant suite à un cours qui, après avoir brièvement évoqué l’inégalité de statut politique et juridique dans les colonies, présente une colonisation très idéalisée – « La France a apporté une part de son mode de vie dans les colonies : à la suite des écoles catholiques implantées par des missionnaires, de très nombreuses écoles laïques ont été ouvertes, la France a développé des hôpitaux et des centres de recherche comme les Instituts Pasteur, ainsi que des infrastructures comme des ports, des routes, des chemins de fer, des ponts, qui ont permis de désenclaver des populations jusque-là très isolées » (p. 24) –, l’étude enfonce le clou. Quatre documents présentent dans une joyeuse unanimité l’œuvre de la France à travers la médecine, la construction d’infrastructures, l’armée coloniale – forcément émancipatrice pour les tirailleurs – et l’école de la République. Tout juste est-il fait mention en fin de texte, comme un léger bémol n’enlevant rien aux aspects positifs, la mort de milliers d’indigènes lors des grands travaux d’aménagement.

Enfin, cherry on the f*cking fascist cake, la politique de Pétain est présentée comme une volonté sincère d’épargner la France (p. 300), dans un face à face « page de gauche, page de droite » avec De Gaulle qui s’inscrit de manière évidente, sinon explicite, dans la lignée de la thèse « de l’épée et du bouclier » chère à l’extrême-droite pétainiste d’après-guerre, tandis que vient s’ajouter l’excuse de l’âge supposé disculper Pétain, déjà entendue dans la bouche de Casali lors d’interviews ces dernières années.

Ah oui, et ai-je mentionné que le passage sur les évolutions de la société française dans les années 1970 (p. 342) liait progrès des droits des femmes – divorce, contraception et avortement -  et « affaiblissement du tissu social » ? Bref, n’en jetez plus, la coupe est tellement pleine que c’est la pièce qui déborde...

Epilogue : Un hold-up sur l’histoire


Ce manuel, dirigé par le sinistre Casali, est donc bien une véritable tentative de hold-up sur l’enseignement de l’histoire. Profitant du manque de ressources pour faire face à la récente réforme, la Fondation Aristote tente d’influencer l’enseignement de l’histoire dans les collèges et de la détourner de ses objectifs premiers – l’éducation à la citoyenneté, à l’esprit critique, à la libre-pensée et au vivre-ensemble – pour en faire l’instrument d’un discours réactionnaire qui s’accroche désespérément à une vision de l’histoire et de l’identité nationale déjà morte et enterrée depuis des années dans une société en évolution permanente. Ce hold-up, il est de notre devoir à nous, historiens, professeurs, citoyens, de ne pas le laisser avoir lieu. A l’heure où la réaction menace de toute part et où prospèrent rumeurs haineuses et théories du complot, il est indispensable d’agir, et de faire notre devoir de la lutte permanente et acharnée contre l’obscurantisme et la réaction. Cette bataille, c’est avant tout par la transmission du savoir et l’éducation à l’esprit critique que nous la gagnerons, en maintenant élevé notre niveau d’exigence, en enseignant une méthode scientifique et rigoureuse d’analyse des documents, en luttant contre les inégalités d’accès au savoir et à l’information. Bref, en faisant notre métier.

mercredi 14 septembre 2016

La politique municipale d’Edouard Herriot pendant la Grande Guerre - Conférence du 17 janvier 2016, Société de Lecture de Lyon



C'est la rentrée ! Presque deux ans que je n'avais rien publié. Entre le boulot (eh oui, les profs bossent) et mes activités extraprofessionnelles, je n'avais pas beaucoup de temps à consacrer à l'écriture. Mais comme on prend toujours des bonnes résolutions en début d'année (scolaire dans mon cas, d'ailleurs j'ai même rangé mon bureau, ce qui est très rare), je me suis enfin décidé à m'y remettre. On commence doucement avec ce texte certes long, mais qui ne m'a pas demandé trop de travail, puisqu'il s'agit d'une version à peine remaniée d'une conférence donnée il y a quelques mois devant le Cercle d'Histoire de la vénérable Société de Lecture de Lyon (ce qui explique d'ailleurs le fait que je ne cite pas toutes les sources : à l'oral, c'est vite rébarbatif). L'avenir nous dira s'il s'agit d'un one shot ou si je vais vraiment avoir le temps et le courage de me remettre à alimenter ce blog... 

Ah oui ! Bien sûr, ça parle d'Edouard ;)

Edouard Herriot vers 1905-1910, peu de temps après son élection à la mairie de Lyon

Arrivé à Lyon en 1895, jeune professeur de lettres chargé de créer une Khâgne au lycée Ampère, Edouard Herriot rencontre rapidement les milieux radicaux lyonnais, en fréquentant les conférences dreyfusardes, où il fait la connaissance de celle qui deviendra Mme Herriot, Blanche Rebatel, fille du président du Conseil Général du Rhône, le Docteur Fleury Rebatel. Cette fréquentation du « monde » lyonnais, associée à celle de son collègue l’historien Sébastien Charléty, lui permet de comprendre assez rapidement ce qui fait la spécificité de Lyon.
Tout d’abord, la cité se distingue par une identité forte et ancienne, celle d’une ville fondée au Ier siècle avant notre ère, capitale bancaire de l’Europe de la Renaissance, place forte du premier capitalisme avec l’industrie de la soie, ce qui lui vaut un peuplement important et ancien, avec 150 000 habitant à la veille de la Révolution, 500 000 au tournant du XXe. Ensuite, elle est marquée par des clivages politiques hérités de la période révolutionnaire, étudiés par Bruno Benoit dans L’identité politique de Lyon, qui se traduisent notamment par un rejet des extrêmes, qu’ils soient rouges, noirs ou blancs.

Cette fréquentation des milieux radicaux lui vaut d’être repéré par le socialiste indépendant Victor Augagneur, maire depuis 1900. Il entre au Conseil Municipal en 1904, et devient adjoint à l’éducation. Lorsqu’il est nommé à Madagascar, c’est ce jeune et brillant professeur, dont personne n’imagine qu’il préférera Lyon à la Sorbonne, qu’il choisit pour lui garder la place au chaud (plutôt que Godart, trop lyonnais).
Plus souple et moins intransigeant qu’Augagneur, Herriot se coule progressivement dans son fauteuil de maire. Conscient de l’influence des milieux catholiques, il sait rester mesuré dans l’application de la loi de séparation, notamment au moment des inventaires (ménage les Chartreux).

Le second mandat, de 1908 à 1912, est celui de l’affirmation. Herriot développe une politique personnelle appuyée sur la compréhension des particularismes lyonnais évoqués plus haut.
Ainsi, alors qu’il se situe clairement à la gauche de l’échiquier politique national, il se place à Lyon hors du clivage gauche/droite annonçant la « coalescence des centres » de la fin de mandat. En outre, il s’inspire de l’identité lyonnaise, qu’il met en avant, notamment avec la préparation de l’exposition de 1914, confiée à l’hygiéniste Jules Courmont, qui marque le retour d’une identité économique forte, d’autant que le choix est fait de nouer des partenariats avec l’Allemagne et l’Angleterre… mais pas avec Paris.
Tout cela permet donc à Herriot de triompher en 1912 d’Augagneur, venu reconquérir sa place. Il tient désormais fermement le pouvoir politique avec la mairie, et gagne l’appui du pouvoir économique local, la Chambre de commerce approuvant l’exposition (il lui offre d’ailleurs aussi la Foire aux échantillons en 1916), et du pouvoir religieux, qu’il a su ménager.
A l’aube de la Grande Guerre, Herriot a ainsi su consolider sa stature de grand homme politique local, comme le confirme son élection au Sénat en 1912. C’est son action pendant le conflit qui va lui permettre de devenir une figure importante à l’échelle nationale, de devenir ministre en décembre 1916 et d’être élu dès 1919 député et président du parti radical.

 Couverture d'Agir, programme politique publié par Herriot en 1917

Edouard Herriot lui-même a beaucoup écrit sur cette période, qui a été pour lui l’occasion d’affirmer les deux grands axes politiques entrevus lors de ses premiers mandats, le socialisme municipal, initié par Augagneur, qui continue de guider son action locale, et une politique de rayonnement de Lyon, incarnée par la Foire à partir de 1916.
Ainsi, en 1917, le maire de Lyon publie son programme politique, Agir[1], recueil de textes écrits depuis le début de la guerre, où il tente de trouver les solutions aux problèmes sociaux et politiques de la France en guerre, avant de dresser quelques perspectives pour l’après-guerre. Le dernier chapitre est intégralement consacré à la Foire aux échantillons, dont la première édition vient de s’achever.
La Première Guerre tient aussi une place relativement importante dans ses mémoires, Jadis[2], publiées entre 1948 et 1952, où elle ouvre le 2e tome.

A la lumière de ces éléments, nous nous proposerons donc de répondre à deux questions complémentaires. Tout d’abord, comment l’action d’Herriot pendant la guerre contribue-t-elle au rayonnement de Lyon ? Comment cette action – principalement à Lyon, puisqu’on sait que ses expériences ministérielles sont des échecs relatifs –, permet-elle dans un second temps au jeune maire d’accéder au rang d’homme politique d’envergure nationale ?
Pour traiter ces questions, nous nous proposons de procéder à un examen thématique des politiques menées par Herriot, en examinant successivement les actions à destination des soldats et celles qui visent l’arrière – en l’occurrence : Lyon.

 

Agir pour les soldats


L’action municipale d’Herriot est d’abord dirigée vers ceux qui sont le plus directement concernés par la guerre : les combattants.

On distinguera les actions en faveur des prisonniers, qui ne se trouvent pas à Lyon, et les mesures prises pour aider les blessés et mutilés de guerre, pour lesquels Lyon est l’un des principaux lieux d’accueil et de convalescence.
                                                              

 

Les prisonniers de guerre


Dès 1915, Lyon se préoccupe du sort des prisonniers de guerre français. Herriot intitule une partie d’Agir, datée du 2 mars 1915, « Pour les prisonniers de guerre ». Il y relate la mise en place d’un service d’expédition de courrier et de colis, centralisé à l’Hôtel de Ville, dont il préconise la généralisation dans les grandes villes et les préfectures. Dans un premier temps, on procède à un recensement des prisonniers permettant de les localiser, à partir des renseignements fournis par l’armée. Les familles peuvent ainsi venir poster courrier et colis. A cela, s’ajoute un service de renseignements qui tente de réunir des informations sur le sort des prisonniers. A partir du mois d’avril (« Organisation du secours aux prisonniers », 20 avril 1915), la mairie de Lyon organise aussi l’envoi de colis aux prisonniers sans famille ou dont les familles ne peuvent en envoyer.

Lyon est aussi, entre 1915 et 1919, l’une des plaques tournantes des échanges de prisonniers entre les belligérants, via la Suisse et ses organisations humanitaires, échanges qui concernent essentiellement les grands blessés. Les gares lyonnaises voient ainsi passer 161 convois en 4 ans, représentant 90 000 rapatriés. C’est un outil de propagande pour le gouvernement : Alexandre Millerand, ministre de la guerre, demande ainsi en juin 1915 à Justin Godart et au général Goigoux, commandant de la place de Lyon, d’organiser une cérémonie fastueuse à la gare des Brotteaux pour accueillir les rapatriés. René Benjamin, prix Goncourt 1915, écrit ainsi que « lorsqu’un train de grands blessés arriv[ait] d’Allemagne à Lyon, c’est là que le cœur de la nation palpit[ait] »

Edouard Herriot et Emile Combes attendant un convoi de prisonniers à la gare des Brotteaux

 

 

Les blessés


Ces convois de rapatriés permettent de faire la transition avec le 2e grand axe de la politique lyonnaise d’aide aux combattants : l’aide aux blessés.

Bien sûr, l’accueil de blessés de guerre n’est ni un phénomène proprement lyonnais, ni une initiative d’Herriot. Mais Lyon se distingue par les initiatives en faveur des blessés et mutilés, qui sont le sujet d’1/4 des chapitres de la partie d’Agir consacrée à l’action pendant la guerre.
Herriot expose son point de vue dans une adresse au ministre de la Guerre intitulée « Plus d’invalides ! », datée du 31 décembre 1914. Les soldats blessés ou mutilés ne doivent pas être systématiquement être envoyés à l’hospice pour le restant de leurs jours comme c’est la pratique. Il faut les aider à se réintégrer, d’abord en les soignant, puis en leur réapprenant un métier.

Ainsi, ce ne sont pas moins de 30 hôpitaux qui soignent les blessés de guerre à Lyon. Plus de 350 000 blessés y sont accueillis sur la durée du conflit, avec des lieux symboliques comme le nouveau lycée du Parc, premier grand aménagement de l’ère Herriot, avec les bâtiments de l’exposition à Gerland, tout juste sorti de terre et aussitôt reconverti en hôpital militaire.

Dans le même temps, Lyon est à la pointe d’un mouvement de réintégration des blessés et mutilés, dont Herriot fait une des ses priorités. Des écoles d’apprentissage pour les mutilés sont ainsi fondées avec l’aide du docteur Carle, sur le modèle de celle de Charleroi, qu’Herriot a visitée en 1913. L’école de la rue Rachais ouvre dès le début 1915, avec des financements à la fois publics et privés, et le soutien de Barrès, malgré la distance politique qui le sépare d’Herriot. Il faut se souvenir ici que les deux hommes se sont connus jeunes, une des tantes d’Herriot ayant été la gouvernante de Barrès.
Herriot exprime ainsi son désir de « faire comprendre [au mutilé qui désespère de retrouver un emploi] qu’il existe pour lui des écoles professionnelles […] où il sera reçu, nourri et logé gratuitement, en conservant pour lui le revenu de sa pension de réforme et le produit de son travail, dès qu’il pourra travailler ». On retrouve là l’intérêt pour l’enseignement technique qu’Herriot manifeste tout au long de sa carrière, notamment lors de ses passages au gouvernement. 800 mutilés bénéficient de ces écoles à Lyon dans des domaines variés, de la comptabilité, à la petite menuiserie, avec notamment des formations à la fabrication des jouets en bois.
On peut aussi noter l’achat par la mairie de Lyon d’une machine permettant d’imprimer des livres en Braille pour les soldats qui ont perdu la vue, initiative dont Herriot tente de faire la promotion auprès des maires des autres grandes villes de France.



Les réfugiés


Dans Agir, Herriot aborde aussi l’aide à d’autres victimes des combats : les réfugiés qui fuient les zones de guerre. Il évoque notamment la mise en place à l’Hôtel de Ville d’un « Bureau de recherche des réfugiés belges et français », le premier en France, confié à Maurice Picard, professeur de droit.
En plus de réunir les familles séparées par le conflit, le bureau se propose de constituer une base de données sur les communes envahies ou ravagées par les combats.

 

Agir pour l’arrière


L’autre grand enjeu de la politique municipale d’Herriot en 14-18 est l’organisation de la vie quotidienne dans cette grande ville de l’arrière qu’est Lyon. Confrontés aux problèmes de ravitaillement et aux difficultés économiques, le maire et son équipe agissent essentiellement dans quatre directions. Tout d’abord, la gestion du ravitaillement occupe bien évidemment une place essentielle, dans un contexte où l’armée réquisitionne une grande partie d’une production nationale que la mobilisation et les combats réduisent comme peau de chagrin. Ensuite, pour contrer les effets du conflit, Herriot tente de maintenir et d’approfondir la politique sociale originale entamée avant-guerre, dans la lignée du socialisme municipal évoqué plus haut. Pendant de cette politique sociale, la municipalité soutient l’économie, avec la Foire aux échantillons, qui fait de Lyon le fer de lance de la lutte contre l’économie allemande en défiant les grandes foires comme celle de Leipzig. Enfin, une initiative originale peut être soulignée, même si elle ne relève pas directement de l’effort de guerre : la constitution d’un fond documentaire sur le conflit, qui est aujourd’hui une source exceptionnelle et presque unique au monde.

 

Le ravitaillement


Une commission municipale est mise en place dès le 6 août 1914, en collaboration avec le département. Le choix fait est celui d’achats à prix fixés plutôt que de réquisitions. La commission des prix réunit des représentants de la ville, mais aussi des commerçants et tente de déterminer le prix le plus juste pour les différents protagonistes. On note une forte dimension patriotique dans le discours, qui incite les commerçants à « faire la guerre au boche » en vendant au prix fixé.

A partir de 1916, la commune cherche aussi à sécuriser les approvisionnements en achetant directement les denrées de première nécessité. Lyon importe ainsi des pommes de terre d’Italie et d’Espagne, du sucre, achète des concessions forestières dans le Morvant et embauche de bûcherons canadiens pour les exploiter. On crée en outre des dépôts municipaux de charbon, et la mine de lignite de Saint-Martin-du-Mont, dans l’Ain, est remise en service. Enfin, pour transporter ces marchandises, la mairie rachète de vieux camions militaires, qui sont revendus en 1918.
Notons cependant qu’Herriot manifeste un souci constant de ménager les commerçants, notamment pour éviter le développement du marché noir, refusant par exemple de mettre en place une boucherie municipale, pour protéger les bouchers lyonnais.

Cette politique de ravitaillement se heurte cependant à la double concurrence des réquisitions de l’armée et de celles de l’Etat pour approvisionner Paris, concurrence des plus rudes, puisqu’elle peut notamment passer par la réquisition de convois achetés par Lyon en Espagne. Son efficacité est cependant réelle, puisqu’elle vaut à Herriot de devenir ministre du ravitaillement en décembre 1916.

 

L’œuvre sociale


Dès le 3 août 1914, Herriot fait mettre en place des soupes populaires à 5 centimes pour les familles de soldats – 5,5 millions servies jusqu’en novembre. Cette initiative est représentative de l’œuvre sociale de la municipalité lyonnaise pendant la guerre. Cette œuvre, Herriot la défend dans Agir, en tant que membre d’un parti radical qui est bien, en ce début de siècle, un parti de gauche, mais aussi en tant que tenant du socialisme municipal.

Dans la droite ligne de ces soupes populaires, sont ainsi crées en 1916 des Cuisines municipales, sous la forme d’une association loi 1901 soutenue par la mairie. Ce service entend notamment compenser le manque de temps des femmes qui ont du prendre un emploi, en vendant à prix coûtant des repas aux ménages des catégories populaires.  A 25 centimes la portion de 140 g de boeuf bouilli ou en sauce, 35 centimes la portion de viande rôtie, 15 centimes la portion de pâtes ou de légumes, 10 centimes le demi-litre de bouillon de bœuf, les prix sont accessibles. Herriot se rend lui-même sur place pour recueillir les réactions des usagers. Il écrit ainsi en juin 1916, très satisfait : « Tous mes clients ont reconnu que la cuisine municipale leur épargnait à la fois beaucoup de temps et un peu d’argent ».

L’action sociale de la mairie se manifeste aussi par l’aide au travail des femmes d soldats dont els familles se retrouvent privées de revenus. Des ouvroirs municipaux sont créés où les femmes de soldats sans revenus peuvent apprendre à coudre pour trouver un travail dans les manufactures d’uniformes. Dans un second temps, les salaires du privé s’avérant trop bas, les ouvroirs municipaux travaillent directement pour l’armée, distribuant les commandes entre les ouvrières qui travaillent à domicile.

Ces initiatives emblématiques ne résument pas la politique sociale d’Herriot, qui ratisse très large. Dans le domaine sanitaire, Herriot tente ainsi de mettre en place une politique municipale de lutte contre la tuberculose, qui se développe en temps de guerre. Faute de moyens, elle demeure cependant au stade des projets. Enfin, dans le domaine du logement social, c’est en 1917 qu’est lancé le projet de nouveau quartier d’Habitats à bon marché (HBM) du Boulevard des Etats-Unis, confié à Tony Garnier.

Ces œuvres en faveur des femmes et des nécessiteux s’inscrivent ainsi dans la continuité de la politique sociale herriotiste, entre les restaurants municipaux gratuits pour mères allaitantes nécessiteuses, créés en 1910, et l’école d’agriculture de Cibeins, qui ouvre ses portes en septembre 1918, et est au départ destiné aux orphelins et jeunes délinquants. 

 

La Foire d’échantillons de Lyon et la politique économique et commerciale


La Foire de Lyon demeure sans doute aujourd’hui la mesure la plus célèbre de la politique municipale d’Herriot pendant la Grande Guerre. Elle est à la fois la manifestation de la volonté de maintenir l’activité économique et commerciale lyonnaise, et un véritable acte de guerre économique, qui vise ouvertement la foire de Leipzig, où, « en 1915 et 1916, la propagande n’a fait que s’accentuer ».

Dans Agir, Herriot compare ainsi la Foire, dont la première édition a lieu du 1er au 20 mars 1916, à la bataille de Verdun : « Entre le drame héroïque de là-bas et notre bataille commerciale, un lien nous apparaissait. Il nous semblait qu’avec moins de mérite nous poursuivions le même but : libérer et protéger le génie de la France, ses produits, son travail ». La Foire nait donc d’une « volonté de combattre l’Allemagne partout ». 

 Carte postale représentant les stands de jouets de la Foire de Lyon en mars 1916

La dimension patriotique est ainsi essentielle dans l’organisation de l’événement. Un partenariat est développé avec la Chambre de Commerce de Nancy pour que soit représentée la Lorraine occupée. Un marchand alsacien est aussi présent. Le stand de jouets « l’Atelier du Blessé », présentant la production de l’école Joffre de Lyon, remporte un succès important. En outre, les organisateurs mettent un point d’honneur à inviter des marchands des pays alliés – on compte 14 stands anglais, 4 canadiens, 43 italiens et un russe. Au total, la Foire réunit 912 stands dans des domaines aussi divers que l’automobile, la maroquinerie, la musique, répartis en 15 grandes branches.

La Foire de Lyon est donc une véritable réussite, tant son organisation en temps de guerre semblait ou départ constituer une gageure. Notons en outre qu’elle n’est pas une initiative isolé, Herriot multipliant les tentatives dans les domaines économiques et commercial, à l’image de la politique de développement du commerce fluvial sur le Rhône, lancée à l’occasion d’un déplacement à Genève en 1917.

 

Conclusion : Une période de fort rayonnement pour Lyon et pour Herriot


L’action d’Herriot à la mairie de Lyon se caractérise donc, pendant le premier conflit mondial, par une volonté constante d’innover dans les domaines économique, social et politique, tout en s’inscrivant dans le climat d’Union sacrée et en participant à l’effort de guerre.
Beaucoup d’initiatives frappent par leur modernité, à défaut d’être totalement inédites. Les écoles de mutilés sont ainsi les premières en France, tandis que la politique de ravitaillement, marquée par le fort engagement du secteur public, est d’une rare efficacité. Les services de recensement des réfugiés, d’expédition des colis aux prisonniers, etc., sont des premières nationales. Dans les domaines économique et social, enfin, la politique sociale est marquée par une forte inventivité et la Foire est une initiative emblématique qui rompt avec la morosité du temps de guerre.

Lyon, qui jouit d’une image de ville moderne et dynamique, engagée dans l’effort de guerre, sert donc à la fois de laboratoire, de vitrine et de tremplin à Edouard Herriot, qui ne manque pas de faire état de ces réussites, par exemple en publiant Agir, où son programme pour la France s’appuie sur l’exemple lyonnais.
A l’échelle nationale, cela lui permet d’accéder à une première expérience ministérielle, de décembre 1916 à 1917, en tant que ministre de l’industrie et du ravitaillement, domaine où il s’est illustré à Lyon, acquérant une renommé nationale. Il entre d’ailleurs au ministère en même temps que l’autre figure du radicalisme lyonnais de sa génération, Justin Godart. Cette expérience est certes un échec et lui vaut une forte impopularité, mais elle permet à Herriot de comprendre que ses succès locaux lui ouvrent la porte de l’échelon supérieur. Il capitalisera dessus dès la fin de la guerre en se faisant élire député du Rhône et en prenant la tête du parti radical.
A l’échelle locale, et c’est peut-être le plus important, la période de la guerre parachève une conquête de Lyon déjà bien entamée par le jeune maire radical. La politique de ravitaillement et les dispositifs d’aide sociale mis en place achèvent de lui gagner la confiance des Lyonnais, à qui il permet d’être relativement épargnés par les privations. Enfin, la Foire de Lyon finit de rallier le patronat lyonnais, quand l’œuvre sociale touche en plein cœur des milieux catholiques lyonnais sensibles à ces questions et jusque là réticents à soutenir un radical connu pour son soutien à la loi de 1905.

Au sortir du conflit, Herriot a donc consolidé sa position à Lyon, tout en s’ouvrant les portes de la scène politique nationale. C’est le point de départ de trois décennies d’un règne presque sans partage sur la capitale des Gaules et le parti radical.



[1] Edouard HERRIOT, Agir, Paris, Payot, 1917, 471 pages.
[2] Edouard HERRIOT, Jadis. I. Avant la première guerre mondiale, Paris, Flammarion, 1948, 268 pages, et Jadis. II. D’une guerre à l'autre : 1914-1936, Paris, Flammarion, 1952, 650 pages.