jeudi 26 septembre 2013

Mais qui est François Huguenin ?

Après quelques mois d'inactivité pour cause d'agrégation (je vais bien, merci, même très bien), je reprends ma plume et mon clavier en douceur. Depuis quelques jours, je cherchais le sujet d'un prochain billet, un sujet digne d'un billet de reprise. Et puis ce matin, dans un train entre Lyon et Grenoble, mon stylo a sauté dans ma main. Révolté par la lecture de l'Histoire intellectuelle des droites de François Huguenin, je n'ai pas pu m'empêcher d'écrire, et ce soir de publier, qui plus est avec un titre provocateur, ledit François étant bien plus connu que moi. Et tant pis si cet article de reprise n'a rien à voir avec la les Humanités Numériques. Ce que j'ai écrit ce matin, je veux qu'on le lise, même un peu. Et j'assume totalement mon opinion, même si l'on pourra facilement m'accuser de lecture partielle, sinon partiale. 


Septembre 2013. Après deux ans passés à la préparation du Capes et de l'Agrégation d'histoire, je prends mon premier poste dans un lycée isérois et je commence à débroussailler le chemin menant à une éventuelle thèse par quelques lectures. De passage à la F***, célèbre chaîne de librairies dont je tairai le nom pour ne pas nuire au petit commerce, je tombe sur une Histoire intellectuelle des droites (F. Huguenin, Perrin, 2013) que je ne connais pas. Un premier feuilletage rapide m'apprend qu'il s'agit d'une réédition augmentée du Conservatisme impossible, d'un certain François Huguenin, "diplômé de Sciences Po", paru en 2006. Aurais-je raté, durant mes années de Master, un ouvrage essentiel ? Je me déleste donc de la somme - rondelette pour un livre de poche - de 11 euros, et je décide que cet ouvrage, dont l'auteur se présente comme un "historien" (il est aussi présenté ainsi notamment sur le site de France Inter), m'accompagnera pour les prochains jours, manière comme une autre d'égayer mes 2 fois 50 min. de TER quotidiennes. 

"Absence de liberté d'esprit"


Quelle n'est pas ma surprise lorsque, dès la première page, le supposé historien présente son livre comme un outil pour l'actuelle opposition parlementaire, "une réflexion sans laquelle une future majorité risque de produire autant de déception et de frustration que l'actuelle" (p. 9) (Je mets en gras les mots qui me semblent en contradiction avec l'impartialité qui sied à l'historien, et j'ai bien peur de devoir appuyer souvent sur Ctrl+B dans les lignes qui vont suivre).

Dès lors, tout s'enchaîne : pèle-mêle, le prologue de l'ouvrage fait état de "l'effondrement intellectuel de la gauche" (p. 10), regrette que le FN ait pour stratégie de "ne jamais accéder au pouvoir" (à l'opposé du stimulant petit ouvrage publié ce mois par le sociologue Michel Wieviorka et intitulé Le Front National), dénonce "l'ostracisme" qui frappe selon lui la pensée réactionnaire, et tout particulièrement Maurras, signe d'une "absence de liberté d'esprit" des "élites intellectuelles". 

Huguenin ou Maillot ?


Huguenin, qui est aussi, bien que sous un autre nom (le vrai, François Maillot), directeur de la célèbre librairie catholique parisienne La Procure, affiche donc la couleur dès les premières pages. Ces droites à propos desquelles il écrit, qu'elles soirent libérales ou réactionnaires, il les soutient et conçoit son livre comme un outil de renouveau intellectuel à son service. Notons au passage que, dans ce prologue très idéologique, l'auteur ose tout de même une incursion dans l'historiographie, citant Les Droites en France de René Rémond pour s'en démarquer aussitôt, avec des arguments assez peu convaincants. L'ancien élève de Sciences Po accuse le maître de "se fourvoyer" en plaçant "sous les mêmes auspices du bonapartisme les tentations fascistes des années trente, le gaullisme et le lepénisme"(p. 15), ce qui est loin de constituer l'essence du propos de René Rémond, qui a lui-même reconnu les limites de sa théorie, formulée, faut-il le rappeler, à l'aube des années 1950, à une époque où le gaullisme politique était encore bien jeune. François Huguenin, lui "sachant" (c'est lui qui le dit, on ne sait de quelle inspiration divine il le tient) "qu'il n'en existe pas d'autre", se propose d'étudier les deux tendances qui, à ses yeux résument la droite française depuis 1789, la réaction et le libéralisme. 

On entre donc dans le vif du sujet, et par la grande porte s'il vous plait : un récit en bonne et due forme de la séparation entre "droite" et "gauche" de l'hémicycle en septembre 1789, autour de la question du veto royal. Aussitôt, Huguenin retombe cependant dans ses travers idéologisants. Page 21, la troisième du "corps" de l'ouvrage, il dresse un portrait très flatteur de la Révolution à laquelle s'oppose la première droite, dont iol ne retient que "[les] horreurs de la Terreur, [les] mascarades de procès, [...] la délation généralisée, [...] l'exécution systématique des ennemis politiques, [les] massacres scientifiquement organisés de pans entiers de la population - noyades de Nantes ou génocide vendéen".

Génocide vendéen


GENOCIDE VENDEEN ?!? N'en jetez plus, la coupe est pleine. Voila que notre Huguenin-Maillot (on se demande si le choix d'un pseudonyme 'est pas destiné à rendre moins suspect de partialité François l'historien, débarrassé du lien avec le libraire catho parisien et ancien éditeur), chouan dans l'âme, fait sienne les théories fumeuses instrumentalisées par la vieille droite catholique en déclin, et tente de les faire passer pour une vérité historique admise, les plaçant innocemment en fin d'une liste commencée par une évocation de la Terreur et où le "génocide" n’apparaît que comme un exemple allant de soi. Il est vrai que l'auteur ne cache pas sa sympathie pour la pensée maurrassienne et regrettait déjà dans les premières pages que l'UMP n'ait pas su poursuivre le mouvement de "renaissance réactionnaire" (cette expression-la est de moi) incarné par la "Manif' pour tous". 

Pour moi, c'en est trop. J'abandonne au moins pour un temps ma lecture p. 21, après seulement 10 pages dont 7 d'un "prologue" qui suffisait à jeter le discrédit sur un ouvrage qui ne relève décidément pas d'une démarche historique impartiale. Qu'on ne me jette pas la pierre, j'ai seulement commis l'erreur de vouloir voir derrière le titre d'Histoire intellectuelle des droites un livre d'histoire. Mais historien, François Huguenin ne l'est visiblement pas, en tout cas pas au sens noble du terme, lui qui préfère instrumentaliser une lecture partielle de l'histoire à des fins politiques. Je me contenterai seulement de proposer un nouveau titre, qui ne diffère de l'actuel que par deux lettres : Histoire intellectuelle de droite. Sur ce, je vais lire quelque chose de plus sérieux. 

4 commentaires: