lundi 13 décembre 2010

Visibilité en ligne et connaissance de l'internet grand public : pourquoi j'utilise Google.

S’il est une firme dont l’emprise sur la société contemporaine et l’aspect tentaculaire et monopolistique peuvent faire peur, c’est bien Google.
Alors que son moteur de recherche tend de plus en plus à devenir la référence unique sur le web – au point que, comme le note Patrick Leary[1], to google est devenu le terme générique pour désigner le fait d’effectuer une recherche en ligne sur un moteur généraliste –, l’entreprise amasse au jour le jour une quantité effrayante d’informations sur ses usagers. Sujets de prédilection, données personnelles, tout y passe. Et lorsqu’on l’accuse de porter atteinte à la vie privée des internautes, le fondateur de la firme répond que seule une personne qui a quelque chose à se reprocher a intérêt à protéger ses données personnelles[2]. En soi, ces raisons éthiques et morales seraient suffisantes pour refuser d’utiliser Google. D’autant que, pour les historiens que nous sommes, les algorithmes du moteur de recherche de référence sont, à part lorsqu’on recherche une information simple et immédiate, rarement efficaces, puisque leurs critères de pertinence ne sont pas les nôtres, loin s’en faut. Pourtant, même si je sais que cela ne m’apportera pas les réponses que j’attends en tant qu’historien, chacune de mes recherches en ligne commence sur google.fr, et je vais de ce pas vous expliquer pourquoi.

Ce choix, dont nous avons brièvement débattu récemment dans le cadre du séminaire d’histoire numérique de Christian Henriot, s’est heurté aux réticences de plusieurs de mes interlocuteurs, soulevant plusieurs objections, la plupart extrêmement pertinentes. Je n’ai pas changé d’avis pour autant.
Le lecteur retrouvera certainement ici le « populisme intellectuel » de mon article sur la télévision, ou, si l’on préfère cette volonté de voir l’historien s’engager dans la société et, partant, la connaitre et la comprendre. En effet, lorsque je recherche sur le web des informations sur un sujet historique, je me pose en permanence la question : « qu’aurait trouvé un amateur ? ». Or il est fort probable que ledit amateur utilise Google (ou Bing, ou Yahoo, là n’est pas l’objet de ce billet). Si nous nous fixons comme objectif d’agir dans la société – et pour elle – par la promotion d’une culture historique de qualité, culture que nous jugeons indispensable à toute compréhension fine du monde actuel, il importe donc de repérer les pièges du web grand public et à terme d’apprendre à les déjouer.
Utiliser Google, c’est donc avant tout apprendre à connaitre notre « environnement » en tant qu’historien numérique. C’est comprendre la structure tentaculaire au sein de laquelle s’inscrit notre action. C’est ainsi par la pratique qu’on parviendra à la maîtrise du mode de fonctionnement de Google, notamment en ce qui concerne le référencement des pages et le tri des résultats d’une recherche. En effet, quel intérêt peut avoir la tenue d’un blog ou la création d’un site adressé au grand public, si celui-ci ne peut pas y accéder, ou plutôt s’il est dans l’impossibilité de connaitre son existence ? N’est-il donc pas essentiel d’accepter dans une certaine mesure de nous plier aux règles imposées par Google et ses concurrents, même si l’on rejette par ailleurs ce que représente la firme américaine (ou ses concurrents, une fois de plus) ? Sans pour autant inviter l’historien à se prostituer aux multinationales du net, je défends donc un « entrisme raisonné ».
Si j’utilise le terme d’entrisme, je ne me fais pas d’illusions pour autant. Le but n’est pas ici de modifier le mode de fonctionnement de Google – les historiens auraient bien de la peine à réussir là où les dirigeants chinois ont échoué – mais d’atteindre une meilleure visibilité en « infiltrant » les mécanismes de tri des données des moteurs de recherche. Ainsi, dans le cas de Google, leader du secteur, on peut par exemple utiliser Blogger ou Google Docs, la firme ayant tendance à privilégier les pages issues de ses propres serveurs. De plus, le blogueur peut essayer de saupoudrer sa prose de mots clefs, c'est-à-dire de termes susceptibles d’être entrés dans la barre de recherche par un curieux. Ainsi, préciser en les reformulant de différentes manières les thématiques principales d’un site sur une page d’accueil peut permettre d’être mieux référencé. Par exemple, dans le cas de mon M1, intitulé Lyon, Herriot, les droites.1953-1956, je tente de faire apparaître le plus possible les « tags » que sont les mots « droite », « droites », « Lyon », « lyonnais », « lyonnaise », etc sur la page où mon mémoire est publié en ligne.

Même si ma réflexion sur ce point n’en est qu’à ces débuts et que les techniques que j’ai fait émerger sont encore rudimentaires, je suis persuadé que la connaissance poussée des mécanismes de l’internet grand public est une des clefs de l’histoire numérique. Les historiens ne doivent pas commettre avec internet la même erreur qu’avec la télévision. Il est absolument nécessaire d’occuper le terrain de la vulgarisation et de la culture historique grand public, sous peine de le voir confisquer par des amateurs maladroits, des idéologues ou, pire peut-être, de laisser là aussi la mémoire prendre le pas sur l’histoire.

PS : J'aimerais bien savoir qui a commenté mon billet sur Herriot et les pièges du net, le commentaire était intéressant et j'aurais bien poursuivi la discussion en privé.


[1] Patrick Leary, “Googling the Victorians”, Journal of Victorian Culture 10:11, 72-86,
[2] Lors d’une interview sur CNBC, voir la vidéo sur Youtube.


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